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Libération

Tissus hors saison

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publié le 2 novembre 2007 à 1h15

La machine à remonter le temps est à Paris. Elle s'appelle Déballage du Marché Saint-Pierre, maison Dreyfus. On y vend des tissus au mètre aujourd'hui comme hier. A la manière d'hier et dans les meubles d'hier. Probablement aussi dans les peintures de la même époque, à en juger par les craquelures. Revêche. Sur place, on est dans une autre époque. Avec des méthodes commerciales d'avant l'invention du sourire de commande. Ici, le vendeur ou la vendeuse a démarré il y a un certain temps, et quand on se pose devant son comptoir, il ne va pas nous faire des amabilités de façade. Il connaît pourtant son sujet. Souvent rude, mais toujours compétent. Il cultive un savoir-faire qui s'est figé autour des années où la cliente avait le même. Il pose des questions piège : «Souple, semi-raide, raide ?», «Vous allez le prendre dans le biais ?» La cliente, elle, a avancé avec son époque. Du coup, elle ne sait rien faire de ses dix doigts, elle a deux mains gauche et elle est incapable de répondre. Elle entre dans ce temple de cinq étages avec le sentiment qu'on va lui faire passer un examen, qu'elle n'a pas vraiment le niveau et qu'il va falloir masquer ses lacunes. «Euh, j'en sais rien.- C'est pour quoi faire? - Une jupe (ou des rideaux, ou un sac, ou n'importe quoi.) - Ah, ça va pas du tout aller. Vous faites ce que vous voulez mais ça va pas aller.» Le vendeur tient son mètre en bois comme la baguette du maître d'école, il regarde vaguement vers le pla