«Comment dit-on mémoire en arabe ?» Lâchée aux deux tiers du spectacle, la question constitue sans doute la clé de voûte de cette quête que le dramaturge libano-québécois Wajdi Mouawad mène depuis dix ans sous forme d'une oeuvre théâtrale de grande cohérence. Jamais cependant il ne l'avait posée avec une telle acuité. Auteur prolixe, metteur en scène et directeur d'acteurs habitué des grandes troupes, qu'il entraîne dans des sagas de plusieurs heures (voir Incendies et Forêts, pour le plus récent), brassant continents et époques avec une confiance inouïe dans les pouvoirs de la narration, il affronte cette fois seul et sans détour cette question de l'héritage qui le traverse à la fois en tant qu'homme et artiste.
Non qu'il ait abandonné la fable, Wajdi Mouawad aime trop raconter des histoires. Mais celle-ci, plus ramassée bien que toujours arborescente, se trouve si pétrie d'autobiographie qu'il n'aurait pu confier le rôle à un acteur. On y entend les voix de sa soeur et de son père, ainsi que celle du metteur en scène Robert Lepage, figure de la scène québécoise.
Seuls est un solo dont Wajdi Mouawad assume l'entière création (avec Emmanuel Clolus au décor). D'où le pluriel du titre : Seuls parce que seul à différents endroits, et qu'on peut porter plusieurs seuls en soi. Sans doute aussi parce que nous sommes pleins de «seuls», nous tous qui regardons. A la faveur d'un incroyable basculement dramaturgique, qui balaye tout repère réaliste, Seuls