D'abord on voit l'arbre, ensuite, les regards : ils sont chargés de tension, d'inquiétude. Parvenir à les saisir a pris presque deux ans à Munem Wasif, photoreporter bangladeshi de 25 ans (agence Vu). Son sujet, ce sont les Rohingyas - une minorité ethnique musulmane chassée de la voisine Birmanie - qui ont trouvé un asile précaire au Bangladesh, où ils sont considérés comme des clandestins.
Acuité. La vie n'est déjà pas drôle dans ce pays, mais s'y retrouver comme sous-paria fait sans doute toucher le fond de la misère humaine. Les Rohingyas ne tiennent pas trop à se montrer, quant à se faire photographier. Munem Wasif a donc commencé par poser son appareil. Il a discuté, tenté de se faire accepter.«Dans cette communauté détruite, les liens familiaux sont la seule et unique force qui reste. C'est pour cela que j'ai voulu pénétrer dans des familles, les connaître, gagner leur confiance. Cela a pris des mois.»
La femme de la photo s'appelle Marium. Elle est assise sur les racines de l'arbre avec son enfant. En regardant l'image, faite l'an dernier, Munem Wasif a vite découvert ce qu'il y a mis : une histoire de racines, précisément.
Photographier un peuple sans racine c'est, pour un Bangladeshi, raconter sa propre histoire, assure-t-il. Mais ce n'est pas la peine de surcharger cette image de symboles pour qu'elle fonctionne : cet arbre qui s'élance vers le ciel n'est ni un abri ni une menace, juste une toile de fond qui donne toute leur acuité aux regards anxieux.
Munem Wa