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Libération
EDITORIAL

Mortel

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publié le 4 mars 2009 à 6h51
(mis à jour le 4 mars 2009 à 6h51)

Comme n'importe qui, Emmanuel Carrère a plusieurs vies. Une vie privée qui ne regarde que lui, et une vie publique qui regarde les autres, par les moyens du roman, (une dizaine de titres à son actif), ou du cinéma où il est à la fois scénariste et réalisateur. D'autres vies que la mienne par son titre même fait le lien. Mais cette jointure ne suffirait pas à en faire un événement. Le roman de Carrère «nous parle» parce qu'il réactive l'antique interpellation gauche et gauchiste «d'où tu parles ?» D'autres vies… nous parle du fin fond de la misère du monde. Si lointaine : le tsunami, catastrophe naturelle mondialisée par la télé. Si proche : le cancer, autre genre de catastrophe naturelle, qui frappe à une porte voisine. La rumeur du monde qui va mal ne couvre pas la détresse des amis qui ne vont pas bien, mais lui fait infiniment écho. Il fallait être visionnaire pour voir et écrire le rapport. Le grondement de l'océan est fait des mille vagues qui le composent. D'autres vies… est un roman océanique, de bruit et de fureur. Suivant apparemment la filière (voire le filon) de l'autofiction à la française, il le transgresse et le transcende.

C'est une fiction qui a le culot sensationnel, c'est-à-dire littéraire, de proclamer qu'elle est réelle. A cet égard, s'il fallait lui trouver des antécédents c'est au Mars de Fritz Zorn que l'on songe (cité à la page 139) mais aussi au Joseph Conrad de la Folie Almayer. A la fin de son «autobiogra