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Peste !

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Obsédé par le mot juste, un des personnages du roman de Camus, écrivain raté, passe son temps à polir la première phrase d’un livre qui ne verra jamais le jour.
publié le 27 juillet 2009 à 6h52
(mis à jour le 27 juillet 2009 à 6h52)

L’écrivain qui n’écrit pas pédale en cage, comme le hamster, dans une roue ne fournissant aucune électricité. On est prié de changer sa litière, de le nourrir et de l’aimer, car sa stérilité est précieuse à ceux qui n’en souffrent pas : sa pathologie grotesque hante le monde des écrivains qui écrivent, dans la mesure où leurs textes, avant d’aboutir et d’être publiés, ont souvent connu des impasses, des renoncements, des regrets.

L'un des spécimens les plus connus de l'espèce est Joseph Grand, personnage secondaire de la Peste. D'un bout à l'autre du roman d'Albert Camus, l'employé au service des statistiques de la ville d'Oran réécrit sans cesse la première phrase d'un livre dont la seconde ne viendra pas. Il est obsédé par le mot juste, celui qu'on ne trouve jamais. «Ça amusait sans doute Camus de montrer quelqu'un aux prises avec la difficulté d'écrire», dit l'écrivain Roger Grenier, 89 ans. Roger Grenier est entré à Combat en 1944, quand Camus le dirigeait. En vieillissant, certains écrivains ont de grands mots. Roger Grenier a des souvenirs, qu'il distribue sous formes d'anecdotes qui le conservent. Son laconisme est saturé et distancié. Son grand âge est sans âge. Il ajoute : «Et il a peut-être pensé à ses copains d'Alger, qui avaient des velléités d'écrire. Par exemple, Claude de Fréméville. On disait alors que le grand écrivain, ce serait lui.» Sous le nom de Claude Terrien, il devint journaliste à Europe 1.

Mais revenons à Grand. Il est d’ab