C'est un livre étrange, démodé, lourd de secrets, jeté à contre-courant avec insolence. Voilà l'objet du défi : marier pour la première fois les dessins telluriques d'un grand peintre oublié de la première moitié du siècle dernier, Gustave Fayet, avec l'immense poème épique de Frédéric Mistral, Mireille, publié, lui, mi-XIXe siècle, et depuis longtemps enfoui dans les catacombes de notre patrimoine littéraire. Pour oser plus décalé, ou plus insolite, pas facile. Et pourtant, cet ovni n'est pas seulement un «beau livre», ou le pari audacieux de Jean-Paul Capitani et de son épouse Françoise Nyssen, les éditeurs d'Actes Sud. Ce gros livre cartonné où éclate en couverture une armée de cyprès noirs en quête de voie lactée sur fond gris pâle est une chambre d'échos lointains, un vieux grimoire mystérieux, troublant, où rôdent des fantômes encore assoupis. Au-delà des dessins nus et crus à l'encre de Chine d'une Provence dépouillée et surnaturelle, gravés à la plume ou au roseau, au-delà du souffle intemporel et homérique de Mireille, une porte grince et s'ouvre doucement.
Sous la treille d’une bastide provençale, à moins que ce ne soit sur le perron d’un mas viticole du Languedoc, deux hommes dans la force de l’âge, barbe et cheveux gris, sont assis côte à côte, silencieux. L’un écrit, l’autre peint. Ils ne se connaissent pas, ils ne se sont jamais connus. Quand Gustave Fayet naît à Béziers en 1865 dans une riche famille viticole, Mistral vient d’avoir