La grande absente du débat sur l'identité nationale fut sans doute la langue, et plus encore la langue écrite et la manière dont nous la pratiquons (ou la malmenons) aujourd'hui. Comment promouvoir en 2010 une «défense de l'orthographe» ? L'expression a immédiatement un côté combat d'arrière-garde qui fait reculer le lecteur. Orthos, graphein : écrire droit, selon la loi ; l'étymologie marque d'emblée la normativité du mot.
Une anecdote illustrera le préjugé dont souffre l'orthographe. Jeune professeure, je suis sollicitée en 1990 pour organiser des tournois pédagogiques sur ce thème. Je me heurte alors à l'hostilité d'un collègue qui qualifie ma démarche de «rétrograde», «ringarde», et qui, coup de grâce symbolique, observe que c'est bien «un truc de nana». A une masculinité libre et créative qui autoriserait la transgression, s'opposerait ainsi une féminité docile, grégaire et respectueuse de la loi la plus bête qui soit, l'orthographe étant, comme chacun sait «la science des imbéciles» ou encore un vieux truc «scolaire» qui sépare l'élève brillant (entendez, favorisé socialement) et le soigneux tâcheron, supposé dénué d'imagination. Un autre récit dont on peut tirer une leçonproche est extrait d'un manuel de savoir-vivre des années 60. Un jeune homme déclare sa flamme à une jeune fille et lui tend une lettre dont le «Je vou ême bocou» déclenche l'hilarité de la destinataire. Il serait quand même utile de connaître l'orthographe