Figure centrale de la vie intellectuelle européenne, Peter Sloterdijk a obtenu une reconnaissance mondiale en 1983 avec Critique de la raison cynique, ouvrage dans lequel il analyse l'échec du projet des Lumières dans sa lutte contre l'obscurantisme, et propose de le dépasser par la pratique d'une pensée cynique, ou kunisme, inspirée des philosophes grecs. Depuis, il a développé dans sa trilogie «Sphères» (1998-2010) un système intellectuel complet, dit «science sphérologique», reposant sur l'idée que la pensée et la vie obéissent à un même principe vital : la création de sphères à fonction autoprotectrices et immunisantes. A l'occasion de la parution (1) de Globes (Sphères II), Peter Sloterdijk explique pourquoi la «globalisation» du monde débouchera sur un «co-immunisme», ce «protectionnisme de tous contre tous étendu à l'ensemble du globe terrestre » et revient sur la conférence «ratée» de Copenhague.
Les Européens ont-ils irrémédiablement perdu la possibilité de se sentir chez eux dans un monde globalisé ?
Aujourd’hui, l’Europe se définit comme un ex-empire humilié. Il est très facile de prendre conscience de cette situation lorsqu’on vit comme moi à Vienne, car Vienne est avant tout une capitale qui a perdu son empire. Mais l’endroit le plus favorable à une réflexion sur l’avenir de l’Europe, c’est Venise, parce que d’elle émane un double message. Le premier est : «le déclin est sûr», une certitude acquise depuis la découverte du Nouveau Monde et le transfert de la route des épices hors de la sphère d’influence des