La langue de Libération, de 1973 à aujourd'hui, beau sujet de thèse en trois volumes… Le linguiste Pierre Encrevé, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et lecteur de la première heure, livrait il y a quelques années un décryptage des singularités langagières du quotidien.
Jeux de double sens
Ce qui frappe dans la langue de Libé aujourd'hui, c'est une pragmatique du jeu de langage généralisé. On joue avec la langue, notamment avec les titres à double sens. Car les titres de Libé continuent à le singulariser. Il a été copié par presque toute la presse, et lui-même a beaucoup emprunté à Action (1). Et c'est peut-être dans les titres que s'y inscrit le mieux le passage du critique au ludique. Soit le tout premier numéro de Libération, celui du 18 avril 1973 : en une, la manchette est déjà un titre à double sens : «Prenez votre journal en main», où les deux sens, propre et figuré, sont actifs. Curieusement, après ce premier numéro, Libé n'emploie guère le double sens pendant quelques années. Sans doute parce que, journal de combat, il veut dire clairement une chose, et pas deux en même temps. Mais peu à peu, vous allez passer à un usage très fréquent du double sens. Est-ce parce que vous jugez désormais qu'à défaut de changer le monde il faut tenter de changer notre humeur devant un réel morose ? Toujours est-il que vous pratiquez assidûment des titres qui, à la fois, disent l'actu