Quel poète ne serait pas ému? Un port du bout du monde que l'on dirait assis au bord d'un volcan, avec les montagnes ocre du djebel Shamsan qui se précipitent brutalement dans des criques déchiquetées, des paysages de tragédie, des couchers de soleil d'une beauté violente, torturée, une mer violacée, «luisante comme un miroir magique», dixit Michel Déon.
Même si la ville est aussi un étouffoir, une marmite rendue infernale par un soleil fou, tous les écrivains ont été saisis par le spectacle d'Aden. Mais pas Rimbaud ! Celui qui s'est mutilé de la poésie (comme l'écrira Mallarmé) et n'en avait plus écrit depuis une dizaine d'années, l'a décrite sans la moindre littérature, d'un simple sarcasme : «Aden… un roc affreux… sans un brin d'herbe… à moins qu'on ne l'apporte.» Pourtant, l'ancienne capitale du protectorat britannique, puis du Sud-Yémen, reléguée aujourd'hui au rôle de havre médiocre, fut essentielle dans la vie du Rimbaud d'après les années météores, celles qui l'ont vu piéton d'Orient et d'Afrique - la ville étant d'ailleurs le trait d'union entre ces deux univers.
Dénuement. Ce «roc affreux», des photos prises à l'époque du poète nous le donnent à découvrir à l'occasion d'une exposition au musée Rimbaud de Charleville-Mézières (Ardennes). Des vues du port, du quartier européen, des grands hôtels, dont celui de l'Univers - qui existe encore, mais dans un drôle d'état, et où le poète séjourna, des factoreries, quelques mosquées