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Une drague à mort

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[SNSM, des hommes à la mer] . En 1988, le «Fils du Vent» chavire, entravé par une de ses cages de pêche coincée au fond. A bord, trois marins pris au piège…
publié le 18 août 2010 à 0h00

Au fond d'une eau noire, un soir de décembre, à six milles au nord-ouest de Carteret (Manche), Gilles Muzard a vu la mort dans les yeux. Il était sur le Fils du Vent, un petit chalutier voué à la récolte des praires, quand soudain, au milieu de la pêche, sur une mer calme et par un temps paisible, le bateau se couche sur le flanc comme un cheval blessé. La gîte devient effrayante ; en une minute, Muzard se retrouve perché sur un bordé dressé vers le ciel. Quatre mètres plus bas, il voit l'eau glacée et sombre dans laquelle il va sauter, pour fuir cette coque qui chavire et va se fermer comme un cercueil.

Huit minutes de survie

Les petits chalutiers du Cotentin arpentent la mer, comme un paysan son labourage. Une étrave renforcée pour affronter la mer, un moteur sûr et puissant, une dunette et un carré spartiates, un pont glissant et, à l'arrière, un portique d'acier qui retient deux câbles plongeant dans la mer. Au bout de ces câbles, sous 25 mètres d'eau, deux cages de fer aplaties d'un mètre sur trois, les dragues, munies d'une lame qui fauche les praires comme des blés, en raclant le fond de la Manche. Le danger vient de là : de temps à autre, ces dragues crochent au fond, dans une épave ou un rocher proéminent. Ce jour-là, c'est la drague bâbord du Fils du Vent qui s'est coincée au moment où le chalutier présentait son flanc au courant. Les câbles sont amarrés en hauteur, sur le portique. Le chalutier est brutalement halé vers le bas par