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Eva Joly - Denis Podalydès

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Modérateur Sylvain Bourmeau
par Eva Joly et Denis Podalydès, Metteur en scène, sociétaire de la Comédie-Française
publié le 15 juillet 2011 à 0h00

Je fus bouleversé par ce qui est arrivé à l'Opéra de Rome, il y a quelques semaines, en présence de Silvio Berlusconi : Riccardo Muti dirigeait Nabucco. Arrivé au chœur des Esclaves, le «Va Pensiero», tandis que résonnaient les mots «O ma patrie si belle et perdue», Muti a senti une émotion dans la salle, qui débordait bientôt. Il est de tradition de reprendre en bis ce chœur. A la fin de la première exécution, Muti s'arrête, hésite. Il semble réfléchir. Assis dans la fosse, à demi retourné vers la salle, il se met à parler. Il comprend ce qui se passe, dans la salle et dans toute l'Italie, ce que précisément semble chanter ce chœur. L'oubli de la beauté, la ruine de la culture. Il prononce ces mots avec calme ; il n'éprouve nul intérêt personnel à se faire le porte-parole de cette contestation. Il témoigne pour la musique, pour son art, pour l'Italie qui a donné naissance à Verdi. Il propose alors à la salle à la fois recueillie et déchaînée parce qu'il a parlé pour elle, à cette salle au balcon de laquelle se tient Berlusconi, de reprendre le «Va Pensiero». Tourné vers le public, Muti lève sa baguette et c'est la salle entière qui chante «O ma patrie si belle et perdue», dans les oreilles de Berlusconi. Les larmes vous viennent parce que c'est l'œuvre elle-même qui se rebelle, qu'on sent, qu'on sait toute la colère, l'indignation, que cela suppose, le gigantesque ras-le-bol d'avoir à subir un tel déni de toute culture. Ce qui est magnif