«Il n’y a pas besoin de chambre pour s’échapper, on peut s’échapper d’absolument partout. Combien de fois on croise des gens, dans la rue, qui sont visiblement en train de vivre une autre vie ? Même sur scène. Le temps de la représentation n’est pas forcément surchargé. Il y a des moments de calme où l’on se surprend à être ailleurs. Et aussi lorsqu’on danse. Par instants, on est si concentré sur la musique qu’on en oublie complètement le saut qu’on est en train de faire.
«C’est très agréable, ce lâcher prise, qui ouvre des petites fenêtres où la liberté advient. Cette suspension mentale et physique est longue pour celui qui la vit et sans doute brève pour celui qui la regarde. Des études sur des violonistes montrent que c’est lorsqu’ils quittent le registre de la commande, c’est-à-dire de la conscience de ce qu’ils font, qu’ils sont le plus rapides. Autrement dit, il s’agit toujours de créer un cadre qui permet de s’envoler. Il me semble que c’est pareil pour les écrivains.
Ici à l’Opéra de Paris, les danseurs étoile ont la chance d’avoir une loge à eux en permanence, à l’inverse des danseurs du corps de ballet qui partagent un vestiaire. Les petits miroirs, les petits porte-manteaux, les petites étagères se succèdent, et il est plus compliqué de se ressaisir dans une intimité. Ce qui correspond au travail qui consiste justement à faire corps avec les autres. Je n’ai pas de fétichisme de la loge, mais à la manière d’une chambre privée dans un appartement, personne n’y vient.
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