Il rit, et son rire emporte avec lui la foule. Répercuté par les haut-parleurs sur les façades blanches et rongées de sel de la place Mancheya, bordée par la baie d’Alexandrie, il rebondit, comme un fol et interminable hoquet, transporté par les ondes radio, sous les minarets du Caire millénaire, au fond des campagnes du delta, dans l’aridité des terres rougies de Haute-Egypte, les hauts plafonds d’Héliopolis.
Ivre d'audace, tête en arrière, sur son podium, le zaïm rit donc. En ce soir du 26 juillet 1956, Gamal Abdel Nasser vient de redonner à son peuple sa fierté perdue (lire page suivante) : «Je vous annonce qu'à l'heure même où je vous parle, le journal officiel publie la loi nationalisant la compagnie ; qu'à l'heure même où je parle, les agents du gouvernement prennent possession de la compagnie.» L'Egypte, incrédule, comprend, d'un coup. Et explose de joie, comme gagnée par la folie. Il n'est pas loin de 21 heures, la nuit est tombée sur l'Egypte. A l'est, à Suez, Port-Saïd, Ismaïlia, et Port-Tewfiq, des hommes sont entrés dans les bureaux de la Compagnie universelle du canal de Suez. En milieu d'après-midi, ils ont reçu des enveloppes, qu'ils n'ont ouvertes qu'au signal donné, et exécuté les ordres. Le soir venu, ite missa est. Le canal, voie stratégique détenue à 44 % par les capitaux anglais, vient de faire son retour dans le giron égyptien.
Un non-aligné aux amitiés rouges
Creusé en 1869 sous la direction de Ferdinand de Lesseps, le canal est une étroite bande de quelque 300 mètres