«Nousá mangeons de la salade | Et des fruits | Et des légumes | Nous haïssons la viande | Et le lait et les œufs | Nous sommes des végétariens | Si vous attaquez les végétariens, ils vous lanceront des noix sur la tête.» Ce texte charmant est signé de l'écrivain, poète, anarchiste et bisexuel Erich Mühsam. Il l'a écrit vers 1904-1905, lors d'un de ses séjours à Ascona dans le Tessin suisse, qui abrite alors le Sanatorium de Monte Verità. Cette villégiature proto-bio-alter n'est pas seulement vouée au culte des fruits et légumes, c'est un étrange laboratoire intellectuel, paramédical et artistique fondé en 1900 par un groupe d'amis et qui attirera pendant trois décennies bon nombre d'«esprits indomptés», «la bohème qui nous indique la voie d'une nouvelle culture» (Mühsam toujours).
A l'époque, Ascona n'est qu'une bourgade pauvre mais les habitants ont l'esprit large. C'est là, au milieu d'une végétation luxuriante et avec vue sur l'eau bleu-acier du lac Majeur que Nietzsche termina, en 1871, son essai Naissance de la tragédie, et que Mikhaïl Bakounine, qui a fui la Russie et les prisons tsaristes, écrit l'Etat et l'anarchie, bréviaire pour la destruction de l'ordre capitaliste et de l'ordre tout court.
En 1889, Franz Hartmann, astrologue allemand, et Alfredo Pioda, un homme politique local et progressiste, tous deux épris des théories théosophiques sous forte influence hindoue, lancent l'idée d'un «couvent laïc» rassemblant