La poésie est un glissement de terrain, le lieu de la crise. C'est une ligne de rupture et un casse-tête. Casse-tête est le titre d'un vieux poème de Nicanor Parra, écrivain chilien de 97 ans à qui l'on vient d'attribuer le prix Cervantes, la plus haute distinction des lettres de langue espagnole. Début de Casse-tête : «Je ne donne le droit à personne. / J'adore un bout de chiffon. / Je déménage les tombes. / Je déménage les tombes. / Je ne donne le droit à personne. / Je suis un type ridicule / Sous les rayons du soleil, / Fouet des distributeurs de soda / Je meurs de rage.»
Lorsque sont publiés, en 1954, ces Poèmes et Antipoèmes, c'est un choc discret au pays de Pablo Neruda, dont Parra est l'opposé. Frère aîné de la chanteuse Violeta Parra, suicidée en 1967, il l'a conduite à composer son incroyable vie en dizains en lui faisant lire Martin Fierro, épopée en vers de l'Argentin José Hernández, qui fonda le mythe du gaucho.
Férocité. Parra est mathématicien, professeur. C'est l'un des poètes sud-américains du siècle passé. Quand il écrit, c'est sans perruque : ses dents montrent la joie, le rire, la grimace, le dentier, le cadavre. La conscience ordinaire, celle de l'homme de la rue et de son langage, trouve une expression lyrique. Le poète est un homme comme les autres, d'une férocité sensible, «celui qui s'exprime mal, exprime vu que», et le vers s'arrête là : fin du soufflet lyrique.
Les vapeurs du rêve