En 1895, Joris-Karl Huysmans, catho détraqué (ce sont les meilleurs), se promène au Louvre et observe le Couronnement de la Vierge. Il note cette constante d'Angelico, que ses personnages «aperçoivent peu la scène à laquelle ils assistent ; quelle que soit l'attitude que leur attribue le peintre, tous sont recueillis en eux-mêmes et contemplent la scène, non avec les yeux du corps, mais avec les yeux de leurs âmes». Ce n'est pas qu'Angelico. Chez Masaccio, c'est pareil. Même regard fixe de chat déféquant, l'œil à peine plus fermé chez son exact contemporain Angelico.
Curieusement, Huysmans ne fait pas le lien avec l'étrange Martyre des saints Cosme et Damien(voire ci-contre), lui aussi au Louvre, et présenté à Jacquemart-André. Là, l'absence de regard des personnages principaux est poussée à plein. Les deux jumeaux médecins, Cosme et Damien, sont prêts à être décapités. Près d'eux, les corps encore presque vivants de leurs frères déjà étêtés, l'un la jambe levée, l'autre pissant le soleil par son cou coupé, leurs trois faces auréolées tombées dans un alignement suspect. Au fond, cinq arbres très minces, des peupliers, avec une tête effilée, celle qu'ont perdue ou vont perdre les cinq hommes sacrifiés. Tous les martyrs ont les yeux bandés. Le plus effrayant est celui qui nous fait face, vêtu d'une robe rouge, qui va recevoir dans un instant l'épée du bourreau. Car sous le bandeau, il est le seul dont on distingue très nettement les