Vous allumez la radio, un écrivain ou un artiste à la mode - ou même pas - cause avec un Monsieur Loyal admiratif, bavant sur le micro telle une limace de sortie après la pluie des ventes, ou des espoirs de ventes, et vous entendez ça, dit à peu près comme ça : «C'est un roman qui a quelque chose de radical comme ça…» Ou : «Dans son film, il y a quelque chose de moderne et de fragile comme ça…» Ou : «C'est une pièce qui est proche du gouffre mais avec une espèce d'innocence grise comme ça.» «Comme ça» est apparu, vous savez que vous pouvez éteindre. Cet aboli bibelot d'inanité vous déshonore.
C’est l’indicatif de l’apparatchik culturel, l’un des petits symptômes de l’extinction ordinaire du langage - de son étranglement par fatigue, publicité, mollesse. Appliquez-vous à le prononcer : il faut un peu avancer les lèvres, comme on suce, puis les entrouvrir, comme on avale, après avoir décalotté la phrase-à-ne-rien-dire, l’une des mille sentences promotionnelles accablant chaque jour les ondes culturelles. Dessous, apparaît ce gland un peu vague, luisant et complaisant : l’adjectif. «Comme ça» le flatte et l’accompagne comme une caresse manquée, indifférente, terminale, comme ça et comme pour dire : «Je sais bien que cet adjectif - "radical", "moderne", "fragile", "grise" - ne veut absolument rien dire. Je sais bien qu’il bande mou du sens et qu’il n’en sera jamais autrement. Mais en le caressant avec "comme ça", ce que je veux dire, c’est un peu autre