Lakmé, 1883, hérédité chargée. Le fameux duo des fleurs, tube à pubs pour serviettes hygiéniques ou assurance sur la mort. Un livret digne d'un tableau de Gustave Moreau (enfin, surtout Jupiter et Sémélé) revu par Edgar Rice Burroughs, des morceaux de bravoure pour public de mémés, dont l'air des clochettes, caquetage pour colorature qui évoque entre autre les futurs borborygmes d'Yma Sumac. Une forte odeur de liane, de casques d'explorateur et d'éléphants qui dansent. Le plus célèbre opéra (on meurt à la fin) du compositeur d'opérettes Delibes prête aux flonflons enturbannés, puisqu'on y trouve un brahmane méchant, une fille sacrée et des colons anglais non dénués de préjugés.
Le mérite essentiel de l’actuelle production montpelliéraine est d’avoir mis à l’os cette histoire d’amour impossible. Vincent Huguet, ancien assistant de Patrice Chéreau, qui signe là sa première mise en scène, a opté pour un unique décor, une série de marches au bord d’une eau bien réelle et miroitante, sur lesquelles sont étendus des tissus dont les couleurs se modifient imperceptiblement selon les scènes, depuis la fumerie d’opium jusqu’à la place du marché.
L'Opéra Orchestre national Montpellier, sous la baguette de Robert Tuohy, donne des couleurs presque symbolistes, chambrées, à la partition. Cette Lakmé-là se révèle du coup la grand-mère cachée de la Mélisande de Debussy, perdue dans la forêt, habitée d'un mal secret et n'ayant pour seule psychologie que le mystère d'une âme :