Le Krautrocksampler du musicien, critique, et archéologue Julian Cope fait remonter la genèse du groupe allemand Can plusieurs années avant la formation du combo. Le batteur Jaki Liebezeit jouait alors du free-jazz en Espagne. Lors d'un concert, une «espèce d'allumé» (selon Liebezeit) s'approche du musicien : «Mais pourquoi tu joues cette merde, connard ? C'est monotone, qu'il faut jouer.» Entendant ces mots, Liebezeit eut une révélation. Une fois intégré au groupe, il enjoignit au bassiste Holger Czukay de se limiter «à un seul ton». A son tour, Czukay demanda au très érudit clavier Irmin Schmidt de ne pas jouer sur les premières pistes, l'éducation de ce dernier transpirant trop.
C'est ainsi que s'est construit Can : sur la restriction. Dit autrement, comme le chante Malcolm Mooney sur Outside your Door : «Any colour is bad» («toutes les couleurs sont mauvaises»). C'est sur ce point, et sur nul autre, que le groupe a gagné non pas une bataille, mais toutes les guerres à la fois. Parce que cela fait belle lurette que le quotidien de la jeunesse occidentale est aussi monotone et gris que leur musique, et que, du jour au lendemain, il est devenu impossible de dire quelque chose de la vie des gens sans s'approprier - fût-ce sans le savoir - le postulat euclidien qui sortit de la tête de Liebezeit ce fameux soir où il jouait du free-jazz en Espagne…
Sorti en mai, The Lost Tapes rassemble des inédits, enregistrés pour l'essenti