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Libération
TRIBUNE

Alain Gheerbrant est parti

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par Sabine Wespieser, Editrice
publié le 28 février 2013 à 19h06

«Et toi chaman, où es-tu donc, toi qui traduis aux hommes Les voix de ce monde / Je suis là-haut, répond le chaman en indiquant le ciel du pouce, c'est là qu'on entend bien, j'y vais tous les jours retrouver les copains, quelquefois j'emmène ma femme, je suis un aviateur.»

Alain Gheerbrant est probablement parti là-haut, là-bas ou ailleurs, dans la nuit du 21 février. Son œil bleu, sa présence solide au monde, ses mains franches et ses jambes d'arpenteur, ses «copains» les ont perdus. Mais, à fréquenter Alain le chaman, Alain le poète, Alain l'homme libre, ils ont appris combien il était vain d'être raisonnable, et ils savent bien qu'au détour d'un chemin, d'un vers ou d'une phrase, en relisant une entrée de son Dictionnaire des symboles ou l'un de ses nombreux ouvrages publiés, ils retrouveront son intelligence intuitive et sa malice, sa phrase ample et fluide. Poète, Alain Gheerbrant l'a été avant de devenir éditeur, explorateur, ethnologue, cinéaste, essayiste ou mémorialiste, et toute sa vie il l'est resté. L'Homme troué (1), d'où est extrait le fragment en exergue, est paru en janvier 2010. C'est son ultime livre publié. Ce petit recueil, où il a rassemblé les poèmes qui ont marqué les étapes de sa vie, il l'a voulu comme la face cachée, ludique et poétique des mémoires parus en 1995 chez Actes Sud, cette Transversale dont j'avais déjà eu la chance d'être l'éditrice. C'est qu'Alain Gheerbrant a toujours résisté à la tentation