Quand Jacob Miller est mort, l'année dernière, le producteur Glen Brown a dit en plissant le nez :«Il devait avoir quelque chose à se reprocher. Jah sait ce qu'il fait.» Jacob Miller, le gras, l'insolent, le commercial, c'était une chose. Bob Marley, c'en est une autre. En Europe, nous le jugeons d'après le nombre de ses disques d'or, nous l'avons vu au Palace, la coupe de champagne à la main, peut-être même une ligne de cocaïne. Les conclusions sont vite tirées : le premier chanteur du tiers monde est une superstar. Le son de ses derniers albums, si propre, sophistiqué, est la preuve même de sa trahison. Son succès, il le doit au fils de planteurs, le Blanc Chris Blackwell, le fondateur d'Island Records - qui plus est grand ami de Nathalie Delon - et on a tout dit.
Quand j’ai eu l’occasion d’interviewer Bob Marley, j’y suis allée par curiosité plus que par sympathie. Pour pénétrer la galaxie Tuff Gong, sa maison de production à Kingston, il faut essuyer une série de brimades et d’épreuves dignes d’un bizutage de mirliflore, et ça n’arrange pas les choses.
Curieusement, face à lui, ma réaction naturelle a été d’aller m’asseoir à ses pieds. Quand on se sent humble devant quelqu’un, le cœur s’apaise et, par mon seul geste, je suis entrée dans la foule des gens qui respectent sa personnalité et acceptent sa loi. Je n’ai pas compris grand-chose de ce qui habitait le cœur de M. Robert Nesta Marley, d’un an ou deux mon aîné, mais d’un siècle plus âgé que moi par la lourdeur