Même mort, un poète sert encore. Ce n'est pas forcément le cas des romanciers, dont le travail est parfois différent. Le travail du poète, Mathieu Bénézet l'avait défini en 1979, dans son texte majeur, Ceci est mon corps, collection de séquences en vers et en prose, autobio-bibliographiques, considérations sur le corps et la langue : «Car travailler sur soi - et tel est mon travail d'écrivain - implique que l'on se perde de plus en plus. Nulle vérité ou nul récit ne vient emplir le vide qui se crée. On descend un escalier sans fin et cet escalier est soi.»
Le paradoxe essentiel du travail poétique est qu'il se fait sur soi mais toujours pour autrui. «Tel est mon travail d'écrivain» : ce que ce travail produit, ce sont des méthodes de connaissance, peut-être, une nouvelle collection de façons de dire, de gestes, mais aucune représentation («nulle vérité […] nul récit»), rien qui ne soit soumis au régime du vrai et du faux. Le poète ne propose pas une image plus ou moins ressemblante de la fleur, il vous prête sa main pour essayer de la peindre, ce qui n'est ni vérité ni mensonge.
Livraison. En disant cela, on ne dit rien évidemment de Mathieu Bénézet, décédé vendredi des suites d'un cancer. Pas plus que la liste de ceux qui préfacèrent ses œuvres ou les commentèrent ne nous apprend quoi que ce soit d'original : Philippe Lacoue-Labarthe (avec qui il créa la revue Première Livraison chez Bourgois e