La question est restée en suspens dans le silence de la salle à manger : «C'est qui, d'après vous ?» Puis, elle s'est répandue, noire de l'angoisse de Vincent et Violette, par les fenêtres grandes ouvertes sur l'exploitation. Elle a résonné dans les effluves de paille et de bouse, léché la cour bitumée, plongé dans l'ombre de la stabulation où piétinent les animaux, traversé pâtures et champs de maïs, avant de longer le gîte et le manoir de la baronne, ancienne propriétaire des terres. Et de revenir, enfin, brute comme un coup de poing au plexus, percuter l'unique décoration de la pièce : une photo de Vincent et Violette Delieu, éleveurs laitiers à Coteville, dans la Manche, souriant devant leur maison tout juste rénovée. C'était dix-sept ans plus tôt, le 2 janvier 1996, un autre monde.
«C'est arrivé comment, selon vous ?», a répété Marc, le véto. Comme un cauchemar, s'est dit Vincent. La veille, il avait fait la traite à 7 h 30, RAS avec les 50 vaches ; puis il était parti désherber le maïs avant de liquider la paperasse. Comme tous les mercredis, Violette avait douze gamins dans le gîte. Des gosses de 6 ans, nés après la prohibition, envoyés de Sarcelles dans le cadre du programme obligatoire «on aimeuh les vaches». Obligatoire pour les élèves et les éleveurs, et payé par les ministères de la Reconstruction agricole, de l'Education, de la Santé, de l'Ecologie et Bruxelles, rien que ça. «La lutte contre la bovifolie est une question de vie ou de mort de