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«Chaque phrase que je relis me rappelle l’endroit où elle est née»

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D'où écrivez vous? (15/16)
par Alain Mabanckou, Ecrivain franco-congolais, né à Pointe-Noire. Enseigne la littérature francophone à l’université de Californie à Los Angeles (Ucla) et vit une partie de l’année à Santa Monica
publié le 18 août 2013 à 19h06

Certains livres attendent peut-être un lieu précis pour naître. Il suffit de bouger d'un lieu à un autre. La plupart de mes romans ont été écrits à plusieurs endroits, dans deux ou trois continents différents, et j'ai gardé le sentiment que certaines phrases attendaient tel ou tel endroit pour enfin prendre de la chair, de l'autonomie et acquérir ce que Mario Vargas Llosa appelle le «pouvoir de persuasion». En somme, les mots aussi apprécient le voyage, le déplacement et, dans une certaine mesure, ils seront mécontents et ne faciliteront pas la tâche de l'écrivain si celui-ci s'entêtait à les «faire venir au monde» au mauvais endroit. Le lecteur ressent inconsciemment cette distorsion, et c'est sans doute à cet instant-là qu'il détectera le décalage, voire la raison qui l'entraînera à ne plus terminer le livre. J'ai écrit Verre cassé entre Douala (Cameroun), Ann Arbor (Michigan) et Paris. Je peux reconnaître ce que chacun de ces lieux a apporté à ce roman. Chaque phrase que je relis me rappelle l'endroit où elle née, et même l'agitation «prénatale» qui m'habitait alors…

Je réside en Californie.

Comme chaque année, dès le début de l'été, je viens de quitter ma ville de résidence, Santa Monica, et me retrouve dans le XVIIIe arrondissement de Paris, à Château-Rouge où j'ai gardé un pied-à-terre depuis le début des années 2000. C'est un quartier que j'ai décrit dans mes romans comme Black Bazar, ou encore ma première fiction,