Le soir, Chambord redevient une île. Un château célèbre et un village qui l’est moins se serrent l’un contre l’autre au milieu d’un vaste parc clos de murs. Les touristes sont partis, les cerfs commencent à bramer (c’est la fin septembre) et une brume solognote monte de pelouses sur lesquelles on ne serait guère surpris de voir courir des fées ou des types en armure. Mais lorsque le jour revient, la guerre recommence.
Elle met aux prises le maître du beau château Renaissance et le maire du petit village. Seuls une haie de rhododendrons, deux tilleuls et cinquante mètres de gazon séparent les deux adversaires. Si bien que d'un bâtiment à l'autre, de l'hôtel de ville au château construit par François 1er, on pourrait se foutre des coups de bombardes et on le ferait volontiers, semble-t-il. Mais comme nous sommes au XXIe siècle, l'affaire se traite par avocats interposés. Depuis des mois.
«Le retour de la féodalité»
«Regardez, s'exclame le maire, André Joly, en extrayant un fax de cinq pages du coffre-fort de l'hôtel de ville, maintenant ils veulent carrément notre peau.» Le document, qu'une âme bien intentionnée a transmis à la mairie début septembre depuis ce qui semble être un fax du château, est la rédaction rapide d'un projet de loi visant à supprimer purement et simplement la commune de Chambord. «C'est le retour de la féodalité», s'étrangle le maire, dont la commune a été créée peu après la Révolution. Le maître du château et du parc de 5 400 hectares