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Libération
Critique

Un peintre qui fait couler de l’encre

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Universitaires, poètes ou écrivains, amis ou ennemis, ils sont nombreux à s’être arrêtés sur le cas Manet.
publié le 1er novembre 2013 à 20h26

Manet dégage un tel mystère, un tel néant et une telle sensualité, qu’une troupe sans fin d’écrivains et de critiques s’est engouffrée dans le velours absent de ses regards, dans sa révolution en bottines et redingote, comme une armée de rats suivant le joueur de flûte - vidant la cité artistique des principes et des contenus qui la peuplaient, au minimum, depuis la Renaissance. Le sujet sacré, le rêve symbolique, les tendresses du clair-obscur et les lois de la perspective sont sauvagement remis en cause par cet élégant et discret grand bourgeois, fils de diplomate et amateur de cafés, qui ne semble pas comprendre les fureurs et les rires groupés qu’il déclenche : Manet est le premier et peut-être le dernier artiste révolutionnaire innocent. Il meurt en 1883, gangreneux et amputé, à 51 ans, en peignant de sublimes bouquets, généralement sur fond gris - comme s’il fleurissait de gouache sa propre tombe. Après lui viendront vite, quel que soit leur génie, les malins : ceux qui savent exactement ce qu’ils font ou l’image qu’ils veulent vendre.

A plusieurs reprises, Pierre Bourdieu revient dans son cours sur l'accablante notoriété du peintre qui menace de le conduire, comme n'importe lequel analyste, au désespoir : «Sans doute plus qu'aucun autre peintre dans l'histoire, Manet est l'objet d'un discours phénoménal, monstrueux, qui fait que pour parler comme je le fais de Manet, il faut un mélange d'audace et d'inconscience» ; «La littérature sur Manet est quelque cho