Une fine pluie d'automne a trempé le hamac. Sur le balcon, il oscille à peine au gré du vent qui glisse sur les frondaisons des arbres. De la baie vitrée, la vue est reposante et paisible. Une lumière douce se reflète sur la laque du Yamaha à queue qui trône au milieu de ce bureau épuré. Mais ce décor ne sied guère à l'intranquille maître des lieux qui travaille dans ce bâtiment de verre et de béton à Sagurakucho, un quartier chic et branché dans le sud-ouest tokyoïte. Keiichiro Shibuya est le créateur de The End, premier opéra virtuel qui sera joué mi-novembre au Théâtre du Châtelet à Paris. Un compositeur tout de noir vêtu, au regard frontal, aux images qui s'entrechoquent, aux associations d'idées post-chaotiques. Un enfant de la culture électronique nourri au classique. Qui convoque sans esbroufe Pierre Boulez, la J-pop, la Flûte enchantée de Mozart ou le souvenir intact du Wozzeck d'Alan Berg mis en scène par Patrice Chéreau en 1992.
Keiichiro Shibuya est un drôle d'hybride qui s'échappe chaque fois qu'on croit le saisir. Alors, quand on écrira que The End est un opéra sur la mort, l'impermanence des choses et les fins possibles d'une présence au monde, on lèvera un voile sur une «histoire tragique et ses possibles espoirs», selon l'improbable résumé de Shibuya. On aura formulé l'essentiel. Mais on n'aura rien dit sur cette expérience qui se joue des frontières du réel en démarrant avec une phrase générique : «Suis-je mort