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Libération
TRIBUNE

«Adèle» en apesanteur

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par Pierre SCHOELLER, Cinéaste
publié le 17 novembre 2013 à 18h06

La Vie d'Adèle, dernier stade de la dictature du naturalisme ? Là où le néoréalisme ouvrait le regard sur le monde, sur son éclatante présence, son actualité, et donc sa dimension historique, le regard de Kechiche clôt le monde à un visage, à des visages. Pour s'en convaincre, il suffit de revoir la séquence de la manifestation. Tout est pris dans la perception autocentrée et déformante des individus… Que veut nous dire cette obsession de la figure ? Si ce n'est une hypertrophie du moi, d'un intime pris dans le carcan d'un sujet asphyxié, un sujet rétréci que le récit oppresse et nous opacifie malgré ses trois heures. On n'apprend rien d'Emma photographe, on n'apprend rien de l'émancipation sociale d'Adèle. Des visages, mais des êtres absents.

Il est dit, la mesure de l'amour est d'aimer sans mesure. Je vois une amoureuse, mais je ne vois pas une passion. Je vois une amoureuse, mais je ne vois pas un amour. Je vois une amoureuse, mais je ne vois pas un vertige. Nul amour, car manque la splendide altérité. Ce «tu n'as rien vu à Hiroshima…» qui disait tant du dialogue et du désir. Il y a dans Adèle l'enfermement d'un monologue, capté admirablement par le recours sans échappatoire du gros plan.

C'est étrange, comment ce film, de par l'obsession de la mise en scène, nous tient, me tient en tant que spectateur, au dehors de toute perception intime. Je me souviens des échos cannois, comparant la découverte du fi