C'était un homme alerte qui descendait par le côté à l'ombre de la rue de Constantinople. Se passant une main dans ses cheveux gris, il sifflotait, observait une passante évidemment plus jeune, primesautière, désinvolte, et se retournait sur elle, admiratif, très sincèrement ému de ne rien avoir perdu du sentiment d'admiration l'étourdissant comme à 15 ans. Une heure à perdre. Pourquoi ne pas s'en aller aux environs de la patte d'oie revigorante qu'est la place de l'Europe ? On voyage, on suppose. Le monde s'y rétrécit en quelques capitales. Il y passait avant, le bras à la portière, grisé de soleil et ne voyant que les toits comme on les imagine dans les romans de Zola, la Bête humaine, ou la gare St-Lazare, les gouttières, les oiseaux.
Tout y était dans le ciel, suspendu vers le ciel, exactement comme serait une pomme luisante et peinte à la Magritte, sa moitié supérieure. Le reste imaginaire. S'amuser à créer dans l'abstraction d'un univers bien plus intéressant, celui des mélodies qui parcourent l'âme, celles de la poésie. Il s'arrêta devant un restaurant crétois pour demander s'il y avait des souvlaki pita et évoqua avec ce commerçant la Grèce qu'il connaissait, lui précisant qu'il y mangeait longtemps avant, jeune, en regardant le Pirée, des petites brochettes d'agneau roulées dans un papier huilé. Il partait avec ça, l'oignon, le jus qui lui brûlait les doigts, et c'était délicieux. Pita ? Le restaurateur lui confirma en s'amusant que cela n'existait