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Haïti soigne ses mots

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La moitié de la population ne sait ni lire ni écrire, pourtant le pays connaît un foisonnement littéraire sans précédent. Plongée dans un bouillon de création, symbole de reconstruction après les années «Baby Doc» et le séisme de 2010.
publié le 29 août 2014 à 18h06

«Y avait des livres partout ! C'était quelque chose de génial !» Le souvenir allume des étoiles dans ses yeux. Assis à la terrasse du bar 10-Traction, Bonel Auguste se souvient de ce jour de 1986, quand les bouquins, comme par magie, se sont mis à courir les rues de Port-au-Prince. Trente ans de dictature s'effondrent, Jean-Claude Duvalier vient de quitter le pays. Les maisons des partisans du régime sont pillées par la foule qui laisse éclater sa colère. La bibliothèque du sociologue Hubert de Ronceray, ancien ministre du Travail de «Baby Doc», est mise à sac et dispersée aux quatre vents. Même chose pour la librairie des éditions Fardin, victime collatérale des représailles.

On imagine des scènes apocalyptiques. Mais pour Bonel Auguste, c'est Noël avant l'heure. L'écrivain, alors âgé de 13 ans, grandit à Martissant, un quartier populaire où les livres sont rares. Cet événement est pour lui une bouffée d'oxygène : «Je ramassais tout ce qui traînait. C'est comme ça que j'ai lu Gouverneurs de la rosée, de Jacques Roumain, et Compère Général Soleil, de Jacques Stephen Alexis. Des romans interdits sous la dictature. Je n'y comprenais pas grand-chose, j'étais trop jeune, mais je savais que c'était important. Mon père était coiffeur et ma mère petite commerçante. Même si ce n'étaient pas des intellectuels, ils m'avaient appris à avoir le plus grand respect pour les choses de l'esprit. Alors, quand je me baladais dans la rue avec un livre sous le bras