Les questions qu'un anthropologue se pose naissent le plus souvent d'une expérience ethnographique. Les questions philosophiques naissent d'un étonnement du philosophe vis-à-vis du monde ; mais, lorsque l'ethnographe voyage, qu'il quitte son environnement quotidien, cet étonnement lui est donné. Dans le cadre de mes études de philosophie, j'avais appris à considérer comme normale l'idée qu'il y ait d'un côté des phénomènes qui relèvent d'une action autonome (qui sont les phénomènes naturels) et de l'autre des phénomènes qui relèvent de l'action humaine. Elle me paraissait d'autant plus normale que mon mentor, Claude Lévi-Strauss, l'utilisa régulièrement dans ses analyses. Cette distinction entre nature et culture - ou nature et société - a été un instrument important dans la construction de la philosophie européenne, surtout à partir du XVIIe siècle. Cependant, lors de ma première étude de terrain dans une société qui avait accepté peu de temps auparavant les contacts pacifiques, j'ai commencé à comprendre - après les quelques mois nécessaires à l'apprentissage d'une langue qui n'avait pas été décrite jusqu'alors - que ces notions de nature et de société n'avaient aucun sens.
Les sociétés amazoniennes représentaient une énigme pour l'anthropologie depuis longtemps. Les premiers chroniqueurs du XVIe siècle débarqués sur la côte du Brésil décrivaient des sociétés sans foi, ni loi, ni roi - or n'était présente aucune des institutions habituelles de la Renai