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Libération
Tribune

Le devenir-nègre de nos regards

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par Nicolas Klotz, Cinéaste
publié le 4 décembre 2014 à 18h36

J'apprends que Exhibit B, l'un des plus beaux spectacles que j'ai vu ces dernières années serait raciste. Incroyable ! Beau n'est pas un mot assez précis, il faut dire bouleversant. Une œuvre qui bouleverse, intérieurement, bien sûr, mais surtout les rapports entre ceux qui regardent et ceux qui sont regardés. En voyant cette expression bombardée sur un tel travail, ma première réaction est : bien sûr, encore le Front national et sa galaxie médiatique d'outre-tombe. Puis, j'essaye de passer à autre chose, mais avec ce sentiment de plus en plus pénible que le débat public esthétique et politique en France est décidément en miettes. Là où les choses se corsent, c'est que j'entends qu'il s'agit d'une campagne menée par des groupes se situant plutôt à (l'extrême) gauche. Et qu'ils estiment ne même pas avoir besoin de voir pour savoir. Une photo leur aurait suffi. Si, en effet, ils n'ont pas vu Exhibit B, c'est déjà assez grave - l'accusation de «raciste» veut dire liquider le spectacle publiquement. Et, s'ils l'ont vu, c'est encore plus grave, car une telle confusion dans leurs regards en dit long sur la manière dont ils peuvent réduire la complexité du monde. D'ailleurs, à quoi ça peut bien encore leur servir de regarder quand l'important n'est plus du tout l'expérience d'un regard, mais le calcul politique, communicant, ou médiatique qu'ils pourraient en tirer.

Il n'y a rien de plus précieux aujourd'hui que nos regards. Ils sont devenus le li