Pierre Bonnard a commencé l'Amandier en fleurs, son dernier tableau, au printemps 1946, et n'a eu de cesse, dit-on, de rajouter, au fil des mois, des fleurs et du blanc. Quelques jours avant sa mort, le 23 janvier 1947, à bout de forces, il a demandé à un ami de l'aider à couvrir de jaune le petit rectangle de terrain, qu'il avait peint en vert, en bas à gauche du tableau, un jaune d'or, dit l'ami. Je me souhaite une fin de vie semblable, le souhaite à tout le monde, chacun dans son domaine. Je l'aurais souhaité pour ma mère.
Quand je viens la voir désormais, elle ne crie plus, geint, continuellement, toujours, mais doucement. Dort aussi souvent. Lorsque j'appelle l'Ehpad, je ne demande même plus qu'on me la passe, prends simplement de ses nouvelles auprès des infirmières qui me disent chaque fois que les choses suivent leur cours et je ne peux m'empêcher de penser, chaque fois, au coup de téléphone qui m'informera un jour de l'interruption dudit cours. Je me surprends de temps à autre à dire que ma mère faisait ceci ou cela, et n'ai pas tort puisqu'effectivement elle ne fait plus grand-chose, mais je sais bien qu'il y a une raison plus profonde à cet emploi du passé : des pans entiers de sa personnalité ont disparu, et ce qui reste d'elle disparaît peu à peu. On appelle ça, sur les sites consacrés à la maladie d'Alzheimer, le lent mourir. L'un des moyens que j'ai trouvé pour la garder encore un peu vivante est de lire son horoscope