Trente printemps, ça se fête. Au début du mois de mai, avec «Mémoires vives», premier volet des festivités, la Fondation Cartier réunissait des œuvres montrées lors des précédentes expositions de ces trois dernières décennies, depuis son installation à Jouy-en-Josas (Yvelines) jusqu'à aujourd'hui, boulevard Raspail (Paris XIVe), ou provenant de ses collections, dont certaines inédites en France.
Peinture, design, mathématiques, chamanisme, vidéo, rock… On pouvait (re)découvrir, entre autres, l'avion du designer Marc Newson, les Brise-lames de Raymond Hains, les carnets de Moebius, le sous-marin de Panamarenko, les photographies de William Eggleston, Raymond Depardon, Seydou Keita, et la sphère dorée de James Lee Byars ou encore la sculpture In Bed, de Ron Mueck.
Mécanisme. Depuis le mois d'octobre, ce sont deux autres familiers des lieux, les architectes Elizabeth Diller et Ricardo Scofidio, qui jusqu'au mois de février investissent l'espace pour ce second et dernier volet, avec une création à la croisée des arts scéniques et des arts visuels. En effet, la Fondation collabore avec le duo, initiateurs de l'atelier de création et d'architecture Diller Scofidio + Renfro, basé à New York, depuis plus de vingt ans. Une de leurs œuvres les plus emblématiques et spectaculaires est le Blur Building, un nuage artificiel installé sur le lac de Neuchâtel, ainsi que la High Line de New York, un parc urbain suspendu aménagé sur une ancienne voie ferrée aérienne.
Pour cette quatrième exposition, ils ont métamorphosé l'intérieur du célèbre édifice signé Jean Nouvel, avec leur installation Balade pour une boîte de verre (Musings on a Glass Box). «Pour la première fois dans l'histoire de la Fondation Cartier, le bâtiment de l'architecte est au cœur du projet artistique», indique le commissaire, Thomas Delamarre. Pour cela, le couple d'architectes a vidé le rez-de-chaussée pour n'exposer que le bâtiment, reliant les deux salles avec un mécanisme qui est un clin d'œil à Frank Lloyd Wright.
De premier abord, l’installation laisse perplexe. Dans la salle de gauche, un seau rouge se déplace de manière un peu magique et mystérieuse dans le cube de verre, rattrapant à temps (par un système complexe) des gouttes d’eau qui tombent du plafond, qu’il filme grâce à une caméra placée à l’intérieur. Dans la salle d’à côté, le visiteur est invité à s’allonger sur des canapés à roulettes pour contempler l’image du plafond de la première salle, vue du point de vue du seau. Le résultat est assez perturbant, le bâtiment très orthogonal de Nouvel semble pris de vertige : totalement immergé dans l’espace, on perd alors ses repères, l’image se disloque, se fragmente comme un caillou qui tombe dans l’eau puis se recompose tout en continuant à vibrer.
Immersion. Le bruit de la goutte tombée dans le seau est amplifié, se métamorphosant progressivement en un véritable chœur antique de voix humaines arrangées par le compositeur David Lang et le designer sonore Jody Elff. Le trouble est encore accentué par les parois en verre qui changent d'aspect en passant lentement d'un état transparent à un état translucide, nous coupant ainsi peu à peu du monde extérieur avant de s'éclaircir à nouveau. L'immersion se prolonge au sous-sol de la Fondation en contemplant, encore sur des fauteuils, l'exposition «les Habitants», une proposition picturale et sonore du peintre argentin Guillermo Kuitca, où dialoguent les œuvres et les artistes qui l'inspirent.
«Musings on a Glass Box» de Diller Scofidio + Renfro et «les Habitants», de Guillermo Kuitca. Fondation Cartier, 261, bd Raspail, 75014. Jusqu'au 22 février. Rens. : http://fondation. cartier.com