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Libération
Jeu vidéo

Un tour du monde épris de vapeur

«80 Days» : une fiction interactive dans la peau de Passepartout, le héros de Jules Verne.
publié le 22 janvier 2015 à 18h26

Nice, Vienne ou Amsterdam ? Ce choix, comme presque tous ceux qui vont intervenir plus tard, est d'une importance capitale. Dans quelle direction aborder cette course autour du monde ? Dans le roman de Jules Verne, Phileas Fogg et son fidèle Passepartout prennent la direction du canal de Suez en passant par le sud de la France, mais, finalement, pourquoi pas la Turquie via l'Autriche, voire une expédition vers Vladivostok, en embarquant dans le transsibérien. Quitte, pourquoi pas, à se dérouter vers Pyongyang en chemin. 80 Days, sorti l'été dernier sur iOS et il y a quelques semaines sur toutes les plateformes Android, est une fiction interactive, sans doute une des plus abouties à l'heure actuelle. Surtout, c'est un vrai plaisir une fois dans les mains, l'appli étant parfaitement conçue pour tourner sur un téléphone en mode vertical, ce qui n'est pas si courant.

Finances. Le joueur incarne Jean Passepartout ou, plutôt, il rédige en temps réel le journal de ce dernier en effectuant les choix de directions, de dialogues et d'actions qui ponctuent le périple. Et c'est un enchantement, pour peu qu'on ait un niveau correct en anglais - pas de VF disponible pour l'instant, et vu la quantité de mots du jeu (500 000 selon le studio britannique Inkle), elle n'arrivera pas de sitôt. Mais contempler passivement les conséquences narratives de ces choix est loin d'être suffisant, il faut, en bon serviteur qu'est Passepartout, s'occuper de l'état de santé de monsieur Fogg, gérer les finances et garder un œil sur le compteur des jours (qui s'égrainent rapidement) pour espérer remporter les 20 000 livres sterling du pari insensé du patron.

A chaque escale, on se lance dans les rues pour découvrir la culture locale, tout en essayant de dénicher des informations sur les routes possibles à emprunter pour continuer le voyage. Un petit tour au marché s’impose aussi, pour acheter de la production locale qui se revendra plus loin à prix d’or. Une activité marchande indispensable, car la seule autre solution pour renflouer les caisses est de passer à la banque, mais celle-ci met plusieurs jours à rapatrier les fonds. Et notre temps est précieux. Très précieux.

80 Days se vit comme un roman, avec ses intrigues, ses rebondissements et ses très nombreuses petites histoires. Comme lors de ce voyage en bateau entre Suez et Bombay, où nous avons fait connaissance avec Miss Eleanor Williamson, jeune fille de bonne famille qui se trouve écrire des romans d'aventure fantastiques, au grand dam de son père, lui aussi présent sur le bateau. Nous l'avons encouragé dans cette voie, ce qui nous a valu d'en venir aux mains avec son géniteur. Une histoire d'amour avortée par le débarquement en Inde. L'amour, nous l'avons rencontré plus loin, à la Nouvelle Orléans, avec un jeune homme déguisé en mort, en pleine préparation pour le mardi gras.

80 Days est bien éloigné de l'esprit colonial et paternaliste du roman d'origine publié en 1873. La scénariste Meg Jayanth fait en effet évoluer le joueur dans un monde alternatif à l'ambiance steampunk (où l'on croise des machines à vapeur imaginaires) où on peut embarquer dans de gigantesques oiseaux de métal ou chevaucher des éléphants mécaniques. Et, contrairement au livre, on y rencontre d'innombrables personnages féminins particulièrement travaillés (capitaine, pirate, artificière, etc.). Le propos égalitariste est omniprésent, et on aime à se replonger dans cet univers itinérant dès que l'occasion le permet. Au-delà du scénario (ou des scénarios, puisque chaque nouvelle partie génère une histoire différente en fonction du parcours), 80 Days bénéficie également d'un remarquable travail sur l'interface et le design.

Embranchement. La fiction interactive est en effet souvent un art austère, une histoire par embranchement ne nécessitant rien d'autre que du texte et des choix sur lesquels cliquer. Ici, le texte s'anime, se replace en intégrant la sélection du joueur. Pour le reste, que ce soit la mappemonde où l'on peut apercevoir d'autres joueurs en train d'avancer, ou la représentation des modes de transport ou des villes dans une très belle bichromie, le résultat est d'une élégance rare.