Le street art, un art aseptisé, qui ne choque pas (plus) personne ? Au regard des ennuis judiciaires endurés ces dernières semaines par Clet et sa femme au Japon, le pays natal de celle-ci, rien n'est moins sûr. Ce Français installé en Italie depuis vingt-cinq ans s'occupe des panneaux de signalisation. Il détourne leur sens, sans jamais en altérer la lecture, afin d'y imprimer un ressenti personnel par rapport aux règles. «Mon travail raconte la condition humaine, définit-il. Il reconnaît l'existence de la loi comme un fait inéluctable. Mais il en joue aussi.»
Le 29 décembre, il part au Japon et travaille sur 70 panneaux, 30 à Osaka, une quarantaine à Kyoto. De nuit comme de jour, sans prendre de précautions particulières, sans s’afficher non plus. Il en tire toutefois une vidéo où sa femme, Mami, apparaît, sans que cette dernière ne participe aux installations. Le 5 janvier, Clet repart en Italie. Mami reste.
«Risque». Lorsque la captation échoue sur YouTube, se produit un emballement judiciaire, puis médiatique. Les autorités japonaises reprochent à sa femme d'être complice d'une détérioration de matériel public orchestré par Clet, de ne pas avoir empêché son mari : «D'avoir été présente, simplement», résume l'artiste. Elles interrogent Mami, 43 ans, serveuse au restaurant du musée Gucci à Florence et installée en Europe depuis quinze ans, chaque jour ou presque. Ils lui interdisent de sortir du territoire et de communiquer avec son mari. On exige par ailleurs de Clet qu'il vienne s'expliquer au Japon. Ce qui équivaudrait à une arrestation certaine… sans être assuré d'une amélioration du sort de sa femme. «Je savais que je prenais un risque, mais pas que cela pouvait prendre de telles proportions», explique-t-il.
Son travail n'est pourtant pas apprécié de la même manière en Europe. Depuis une semaine, l'artiste répond à une invitation officielle de la mairie du XIIIe arrondissement de Paris, l'un des territoires français les plus bienveillants en faveur du street art. Alors que Clet a eu carte blanche sur les lieux, il a décidé de se concentrer sur 100 panneaux autour de la place d'Italie, «symbole de [ses] deux cultures», la France et la Botte. A Libération, le maire du XIIIe, Jérôme Coumet, explique son initiative : «Les panneaux sont parfois un peu envahissants. Le travail de Clet permet d'en voir certains qu'on ne remarquait même plus. Par petite touche, il les fait réapparaître. Plus généralement, les street artistes permettent d'ailleurs de voir la ville d'un autre œil.» Evry, dans l'Essonne, l'a invité en février. Dans les environs de Florence, deux villes lui ont aussi commandé des œuvres.
Vandalisme. Comment expliquer alors la différence de traitement d'un pays à l'autre ? «Ce n'est pas spécialement mon travail qui a choqué le Japon, mais la forme, la méthode street-art, pense Clet. Cet art ne passe pas là-bas parce que ce n'est pas envisageable qu'un individu, de sa propre initiative, intervienne dans l'espace commun, l'espace public. Ce que je peux comprendre.»
L'Occident n'est pas forcément moins rigide que le Japon. Si le street art n'est pas toujours perçu comme un acte de vandalisme, lorsqu'il prend la forme du graffiti, il peut être condamné lourdement - la RATP ou les autorités usent alors des mêmes arguments que les Japonais sur la détérioration de biens publics. «C'est une pratique qui ne peut pas fonctionner au Japon. J'ai fait une erreur d'évaluation à la base, je ne me suis pas rendu compte de cette différence culturelle entre le Japon et l'Europe sur l'approche du street art. Mais, paradoxalement, cette histoire me lie définitivement avec ce pays. Et si je ne peux plus y retourner, oui, ce serait dommage», conclut-il.