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Jeu vidéo

«Pillars of Eternity», les dragons sont éternels

Financé par levée de fonds sur Internet, cet excellent jeu de rôle reprend les codes des années 90 pour créer un univers complexe mais familier.
«Pillars of Eternity» a été créé par Obsidian grâce à une levée de fonds sur Internet de près de 4 millions de dollars. (Photo DR)
publié le 9 avril 2015 à 17h36

«Retrouver la magie de Baldur's Gate, Icewind Dale et Planescape : Torment.» Il n'en fallait pas plus, dans la bouche d'Adam Brennecke, producteur de ce qui s'appelait à l'époque «Project Eternity» pour titiller la fibre nostalgique des joueurs. C'était en septembre 2012, le studio Obsidian présentait, après quelques jours de teasing, sa campagne Kickstarter pour financer sa prochaine production : un jeu de rôle dans la droite lignée des grandes productions de la fin des années 90 et du début des années 2000. C'est une époque bénie qui a vu apparaître des titres ambitieux, épiques, qui ont marqué l'imaginaire de ceux qui s'y sont aventurés (en plus des références de Brennecke, on peut citer Fallout et Arcanum). La campagne de financement participatif a atteint près de 4 millions de dollars (3,7 millions d'euros) et le jeu, renommé depuis Pillars of Eternity, est sorti fin mars.

Défunts. On commence - étape incontournable - par la création du personnage. C'est un rituel qui peut être particulièrement jouissif quand il est bien réalisé. C'est le cas, ici, avec un vaste catalogue de choix, que ce soit pour la race (humain, elfe, nain ou un de ces étranges «divins»), la classe (des classiques magiciens et barbares aux plus originaux clairvoyants et chanteurs) ou encore la contrée d'origine. On retrouve ce sentiment unique de façonner un être qui va devenir de longues heures durant notre alter ego. Un clic (un poil angoissé, la responsabilité de la création est énorme) sur «Terminer», et le personnage prend vie. Il voyage vers la vallée dorée, région prospère de Dyrwood, ancienne colonie de l'empire Aedyr. Le seigneur local a promis un lopin de terre et des aides à tous les nouveaux arrivants, et notre héros compte bien s'y poser.

Ce qui n’arrivera pas, bien sûr. Une embuscade, une tempête magique et une machine étrange plus tard, et le voilà qui peut entrer en contact avec les âmes des défunts. C’est maintenant un «gardien» et il va falloir découvrir ce qui lui est arrivé, et la signification de ce pouvoir vécu comme une malédiction. Il va, pour y arriver, s’entourer d’autres aventuriers, comme Durance, un prêtre lunatique et ronchon, Kana, un chanteur géant et érudit ou encore Sagani, une rôdeuse venue du nord à la recherche de l’âme d’un ancêtre. Quêtes, combats, amélioration des héros, le voyage durera des dizaines d’heures.

Lecture. Pillars of Eternity, c'est un peu le dépaysement dans la continuité. Si la mythologie et la géopolitique locales, qu'on est amené à découvrir petit à petit, nous sont complètement étrangères (il y a quand même des boules de feu et des dragons, on n'est pas trop paumés), le système de jeu, l'interface et la représentation même du monde sont particulièrement familiers. Cette vue aérienne en oblique, appelée «3D isométrique», qui permet des environnements très détaillés (l'angle de vue est fixe) dans lesquels se promène un groupe de personnages contrôlé à la souris, c'est le gameplay commun à tous les titres cités au début de cet article. Et puis il y a ces textes à lire un peu partout. Un livre dans une bibliothèque, un parchemin perdu et, dans le cas présent, des petites histoires que le héros peut lire dans l'âme des inconnus (écrites par certains internautes ayant financé le jeu). Ce temps de lecture, très optionnel - et sans doute anachronique -, est une porte d'entrée pour apprécier la complexité de cet univers.

Dans sa course à l'innovation technologique, le jeu vidéo a souvent abandonné en chemin des systèmes de jeu qui n'avaient pas grand-chose à se reprocher. Ce fut le cas des jeux de plateforme en 2D ou des jeux d'aventure. Et, donc, de ces grands jeux de rôle. Le genre, défendu aujourd'hui par des séries comme Dragon Age, Elders Scrolls ou The Witcher, joue la carte de l'immersion dans des univers modélisés en 3D, ce qui demande souvent des budgets de superproductions. Depuis quelques années cependant, que ce soit grâce à la scène indé ou au crowdfunding, un retour en arrière bienvenu a été rendu possible. Et, bizarrement, c'est ce revival un brin nostalgique qui permet au jeu vidéo, dégagé des contraintes marketing, d'aller explorer de nouveaux horizons, plus matures et plus inattendus. Pillars of Eternity en est une nouvelle preuve. D'autres, comme le très attendu Torment : Tides of Numenera, lui aussi financé sur Kickstarter, suivront.