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Libération
TRIBUNE

La Documentation française : un héritage menacé

publié le 22 avril 2015 à 18h56

L’Elysée et les médias ont fait, dès l’annonce de la disparition de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, l’éloge que méritait le résistant, le haut fonctionnaire et l’historien.

Il fut également, comme l'a rappelé le président François Hollande dans l'hommage national prononcé à l'Hôtel des Invalides le 15 avril, «l'âme de la Documentation française, celui qui a porté cette volonté inédite de l'Etat de s'ouvrir aux débats publics et d'aider à la compréhension du monde».

C’est vrai, Jean-Louis Crémieux-Brilhac n’a pas seulement mis la Documentation française sur les rails. Il a donné à cette institution publique au service de l’information des citoyens le formidable élan qui a fait, jusqu’à ce jour, sa notoriété tant dans le monde administratif qu’universitaire, notamment grâce à ses publications. Au cours de ces dernières années, la Documentation française s’est dessaisie d’un certain nombre de ses publications qui fournissaient pourtant des outils d’analyse sur des régions du monde mal documentées. D’autres avaient pour vocation d’alimenter le débat public sur la France, en proposant une approche distanciée, contradictoire et indépendante de l’actualité politique, économique et sociale. Or, leur utilité civique est plus forte que jamais.

Si la Documentation française a acquis une telle notoriété, c’est grâce à la personnalité de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, qui a su associer à sa rigueur intellectuelle la confiance qu’il accordait à ses collaborateurs. Ses remarques sur les manuscrits des «publications maison» qu’il annotait, parfois avec humour quand une idée ne le convainquait qu’à moitié, témoignaient toujours de son respect envers le travail de ses équipes et celui des auteurs. Pour nombre de ces derniers, publier à la Documentation française permet d’étendre leur audience au-delà du cercle des spécialistes.

Institution atypique, à la fois administration centrale et maison d’édition, la Documentation française a su conserver au fil des ans l’estime de ses publics (journalistes, étudiants, enseignants, etc.) parce qu’elle respecte le principe d’une information démocratique, inscrit dans ses statuts au lendemain de la Libération. Jean-Louis Crémieux-Brilhac a dû les défendre à plusieurs reprises et tous ses successeurs ont fait appel à ses conseils. Aujourd’hui, la «marque Documentation française», au sein de la Direction de l’information légale et administrative, porte toujours l’empreinte de l’héritage de Jean-Louis Crémieux-Brilhac. Mais pour combien de temps ? Une énième refonte de l’offre éditoriale, y compris de l’édition publique et institutionnelle, est à l’étude, qui en restreindrait considérablement la diversité et la richesse. Faut-il comprendre, au vu de ces évolutions, que la pédagogie républicaine n’est plus aujourd’hui du ressort de l’Etat ?

Les signataires : Françoise Bacnus, Dany Bataille, Roberte Berton-Hogge, Rachel Bouyssou, Agnès Bon, Bernard Boulle, Nicole Chaperon, Martine Couderc, Françoise Corre, Marie-Agnès Crosnier, Claude Grégoire, Irène Kamenka, Martine Meusy, Nathalie Robatel, Michèle Rodière, Martine Ubersfeld.