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Les samouraïs, de vues à trépas

Le festival Kyotographie présente des images rares du musée Guimet sur la fin du Japon féodal au XIXe siècle.
«Guerrier japonais» d'Apollinaire Le Bas (1864), photographe amateur et officier de marine français installé au Japon. (Photo Apollinaire Le Bas. Musée Guimet)
publié le 29 avril 2015 à 19h06

Il apparaît de pied en cap, casqué, hérissé de pics et vêtu d’une cotte de maille. A sa taille, un sabre et un poignard. Dans ses mains, un arc tendu d’une flèche. Il est prêt à tirer. Hébergé dans la pénombre de la galerie Toraya, nichée à un jet de pierres du parc impérial à Kyoto, il trône en costume d’apparat, en armes dans un passé sépia. Pour la première fois exposé au Japon, dans le cadre de la troisième édition du festival Kyotographie, il donne à voir un monde féodal qui se dérobe. La photographie qui naît va saisir la fin des samouraïs, que la restauration impériale de Meiji anéantit à partir de 1868.

Ce «guerrier japonais» est exhumé d’un superbe et rare album signé Apollinaire Le Bas, que le musée Guimet des arts asiatiques a expédié à Kyoto. Photographe amateur et officier de marine français, basé à Yokohama, Le Bas se livre à un véritable travail de reportage dans les années 1860. Présent à la bataille de Shimonoseki en 1864, il en profite pour camper des soldats et des samouraïs en tenue.

Ces guerriers entrouvrent les portes du fonds historique des archives photographiques de Guimet. Car le musée parisien recèle un patrimoine unique de 19 000 photos sur le Japon du début des années 1860 à la fin du XIXe siècle. «Ce fonds s'est extrêmement enrichi depuis une dizaine d'années, avec l'impressionnante collection du docteur Joseph Dubois qui possédait 17 000 clichés et des livres anciens», précise Jérôme Ghesquière, responsable de la collection à Guimet, évoquant une acquisition majeure, en 2007, du fond de cet orientaliste collectionneur depuis le début des années 70.

Shogun. En partenariat avec l'université de Nagasaki, qui dispose également d'un fonds, le musée Guimet a, par ailleurs, entrepris la création d'une vaste base de données internationale depuis 2012. Des chercheurs, des étudiants et des passionnés ont constitué des groupes de travail pour inventorier et étudier un patrimoine photographique fourni sur les paysages, les bâtiments, les villes, les habitants et les personnages de l'archipel. La sélection des guerriers japonais, présentée à Kyoto, donne un aperçu du travail entrepris et révèle en partie la richesse de cette collection, «mêlant trois images différentes de samouraïs qui, entre 1860 et 1890, vont se superposer et se complexifier, explique Claude Estèbe, historien de la photographie japonaise à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). On trouve de vrais portraits de guerriers, puis des modèles habillés dans des tenues et des décors pas très sérieux et, enfin, des reconstitutions fidèles à l'époque».

Il n’y a qu’à s’arrêter sur le portrait du dernier shogun Yoshinobu Tokugawa, également exposé à Kyoto. Le regard absent, Tokugawa apparaît assis et en costume ordinaire. Dans quelques mois, il démissionnera. Chef mécanicien dans la Royal Navy et photographe expérimenté, Frederick William Sutton a eu le privilège de le photographier, en 1867, dans le château d’Osaka. Sutton, qui accompagnait une délégation diplomatique de Grande-Bretagne, en profite pour prendre des vues d’Osaka, avant la disgrâce et le déclin. Bientôt, Tokyo s’affirmera comme la «capitale de l’Est». La restauration impériale est en marche. C’est la fin du shogunat et l’essor de la photographie, arrivée dans les soutes des «vaisseaux noirs» de l’amiral Perry en 1853. Le nouveau gouvernement, soucieux d’ouverture et de découverte, comprend vite tout le bénéfice qu’il peut tirer de cette invention pour asseoir son autorité, via des images de l’empereur, et pour promouvoir le commerce, via les foires internationales.

Kabuki. Les premiers découvreurs japonais, comme Ueno Hikoma et Shimooka Renjo, importent du matériel photo, perfectionnent la technique et commencent à ouvrir des studios. «Ils ont laissé un important fonds d'images. A Yokohama, Shimooka a été le seul à photographier de nombreux sujets de son époque, des portraits et des scènes pour les touristes», poursuit l'historien Claude Estèbe. Des étrangers ont également capturé la fin d'une époque, comme l'entreprenant Adolfo Farsari, ou le prolifique Felice Beato arrivé dans l'archipel au début des années 1860. «Felice Betao reste le plus connu des photographes étrangers au Japon, raconte Claude Estèbe. Il a réalisé des paysages et, également, de vrais portraits de samouraïs, en grand format, et en modèle réduit qu'il appelait des cartes de visite.»

Puis, à partir de 1868, les guerriers japonais perdent peu à peu droits et privilèges. Revendus comme des babioles et des souvenirs, les sabres, les armures et les armoiries disparates viennent peupler des scènes bricolées, plus ou moins réalistes, comme dans les clichés du baron Raimund von Stillfried, un photographe autrichien, et de ces anonymes qui utilisent les talents d'acteur de kabuki. Il faudra attendre les travaux de l'éditeur et photographe Ogawa Kazumasa, au début des années 1890, pour renouer avec des «reconstitutions en costumes plus sérieuses, réalisées avec les conseils d'historiens», indique Claude Estèbe. Des anonymes superbes, des samouraïs subtilement colorisés rejoignent, alors, les pages des albums photos, objets de luxe en nacre et sépia, qui figent un monde désormais engloutit.