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En Ouganda, moins porno, tu mœurs

Le gouvernement mène un combat contre «l’indécence» des femmes trop dénudées.
Jemimah Kansiime, chanteuse ougandaise, risque dix ans de prison. (Photo Isaac Kasamani)
publié le 19 mai 2015 à 19h36

C'est plus pop-corn musical que pop-porn vidéo, mais voilà, en Ouganda l'histoire hystérise les conservateurs, excite les pères la rigueur, révolte les religieux drapés dans la vertu supposée de la «décence». De quoi s'agit-il ? D'un clip. Nom de l'artiste à la ville : Jemimah Kansiime, 21 ans. A la scène : Panadol wa Basajja («médicament pour les hommes»). Titre du clip : Ansonsomola. Une vidéo sortie le 9 septembre, dans laquelle la jeune femme se trémousse, notamment en maillot deux-pièces, et où elle léchouille une sucette en forme de cœur. Pour avoir osé un tel «outrage», Kansiime a passé cinq semaines en prison en novembre et décembre, avant de sortir sous caution. Son producteur, Didi Muchwa Mugisha, avait plaidé coupable. Il a écopé de quatre ans de prison.

Tuyaux. Les deux accusés sont tombés sous le coup d'une loi antipornographie du 6 février 2014, qui réprime toute image, vidéo ou texte jugés provocateurs (amende de 3 000 euros et/ou jusqu'à dix ans de prison). Kansiime doit comparaître d'ici la fin du mois. Mais son avocat va demander un report jusqu'à ce que la Cour constitutionnelle tranche une requête déposée par des militants qui estiment la loi «excessive et vague». Selon Human Rights Watch, l'Anti-Pornography Act aurait poussé des hommes à agresser des femmes légèrement vêtues.

Kansiime et son producteur sont les victimes de la croisade de Simon Lokodo, ministre des Mœurs. Lokodo est un prêtre, défroqué par le Vatican pour son engagement en politique, un dur. Il suit à la lettre les préceptes du président Yoweri Museveni, chrétien évangélique revendiqué, qui a voulu criminaliser la promotion de l’homosexualité ou rendre obligatoire la dénonciation des gays, avant d’être retoqué… par la Cour constitutionnelle. Une nouvelle loi est dans les tuyaux, encore plus répressive, selon les associations de droits de l’homme.

Simon Lokodo a mis ses meilleurs limiers pour suivre les chanteurs déviants. Il «condamne» les fidèles de Rihanna : «Ces vidéos sont très obscènes, très vulgaires… Il n'y a rien de bon là-dedans.» Il n'aime pas ce qui est trop court non plus. Comme Idi Amin Dada, dictateur ougandais sanguinaire entre 1971 et 1979, qui interdisait le port des mini-jupes ou des perruques. Lokodo a alpagué la plus jeune députée pour le port d'une minijupe. Un motif qui a vu deux femmes condamnées, car elles «visaient à corrompre les mœurs». Lokodo a interdit les clips de Beyoncé ou de ses clones à la télé, bouté Madonna et consorts hors des écrans. Selon lui, «la télé ne devrait pas diffuser des images de personnes sexy».

Victime. Lokodo chasse aussi les «déviants», ceux qui osent mettre en ligne des images dénudées sur les réseaux sociaux. Ou en être victime. C'est ainsi qu'il a poursuivi la chanteuse Desire Luzinda, victime de revenge porn, avant de s'excuser. A sa manière, parce que Lokodo a une définition très personnelle de la mansuétude : «Le sexe est un droit divin, mais des gens l'utilisent pour de l'argent.» Et un directeur d'une «ONG» telle que Family Life Network peut aussi tenter de définir les stades de la pornographie, à commencer par «l'addiction liée à la masturbation».

La mini-jupe ? Début de porno. Le clip suggestif ? Début de porno. La sexologie ? Début de porno. En janvier, la police a ainsi arrêté Mariam Ndibasa, une sexologue. Mais la chanteuse Kansiime a une majorité silencieuse avec elle. Une de ses vidéos, In Ensolo Yange, où elle évoque les «fantasmes intimes d'une jeune amoureuse», avait été vue, mardi, plus de 151 148 fois sur YouTube.