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Jeu vidéo

D’autres mondes sont possibles

Depuis «GTA III», le jeu vidéo se plaît à investir des espaces ouverts et vivants. Les recettes du succès se sont affinées, afin que le joueur se sente comme chez lui.
Geralt dérive. (Photo DR)
publié le 28 mai 2015 à 18h46

Le jeu vidéo est peut-être un simple divertissement, mais il se mue souvent en voyage. Immergé dans les images diffusées à l'écran, le joueur vit une expérience ubiquitaire qui l'emmène vers un ailleurs imaginaire, fantastique, historique ou d'un réalisme contemporain quasi parfait. En 2001, Rockstar a établi avec GTA III un nouveau standard dans les jeux vidéo : celui des mondes ouverts où le joueur, projeté dans un univers étendu et vivant, décide du rythme qu'il veut donner à son épopée. Il peut bien sûr progresser dans l'arc narratif principal du jeu, mais il a aussi à sa disposition toutes sortes d'activités annexes qui vont du simple job rémunérateur (taxi, ambulancier, etc.) aux petites histoires secondaires disséminées ici et là sur la carte de la ville. Et si l'envie lui prend, il peut même tout simplement flâner. Depuis, les productions du genre se sont multipliées, montrant parfois qu'il ne suffisait pas de créer un monde vaste pour qu'il soit intéressant à jouer. Mais années après années, souvent sous l'impulsion de l'incontournable Rockstar, la recette pour créer un monde cohérent et jouable s'est affinée. The Witcher 3 réussit aujourd'hui l'exploit d'égaler, voire de surpasser, ses concurrents les plus sérieux dans tous les ingrédients qui font d'un monde ouvert un endroit mémorable. On en a recensé quelques-uns.

L’étendue

Pour qu'on ait le sentiment de faire partie d'un monde, il faut pouvoir s'y perdre. Le monde ouvert, c'est avant tout le fait de sortir des couloirs déterministes des jeux vidéo classiques. Avec GTA III, le joueur découvrait subitement une étendue de 4 km2 à explorer à sa guise. Et on finissait mécaniquement par en connaître les moindres ruelles.

Avec le temps, les terrains de jeu se sont agrandis. En 2003, la Californie de GTA : San Andreas approche les 30 km2, en 2008, Liberty City s'étend sur près de 9 km2 et en 2011 le Far West de Red Dead Redemption atteint les 40 km2. Une taille qui semble depuis être devenue la norme puisque les dernières références des mondes ouverts, GTA V (hors surface maritime) et Skyrim tournent eux aussi autour de ce chiffre. Selon CD Projekt, The Witcher 3 serait 20% plus grand que Skyrim, ce qui établit sa taille aux environ de 50 km2.

La cohérence et la vie

Pour qu’on ressente le désir d’arpenter des heures durant des contrées étrangères, il faut y croire et finir par les appréhender comme si elles existaient pour de vrai. Le travail à abattre pour les créateurs est immense. Si c’est une ville, il faut qu’elle soit crédible, avec différents quartiers, des grands axes et des petites ruelles répondant à une logique urbanistique. Si c’est en pleine nature, il faut pouvoir ressentir l’aspect unique d’un paysage, jouer sur le relief et la végétation pour que le joueur n’ait jamais un sentiment de copier-coller.

Et puis, un lieu, dans un jeu vidéo, il faut que ça vive : des passants dans la rue, des animaux dans les forêts, il faut éviter à tout prix l'impression d'évoluer dans une nature morte, que le joueur oublie la performance technique pour pouvoir s'immerger complètement. La performance récente la plus impressionnante à ce niveau est sans doute Assassin's Creed Unity avec sa reconstitution fidèle du Paris de la Révolution et sa population dense et mouvante. Dans The Witcher 3, les villes comme les campagnes sont pleines de vie. Les paysans discutent entre eux des dernières nouvelles de la guerre, les biches fuient les hordes de loups, et il y a aussi le vent. En tordant par ses bourrasques le paysage qui s'offre au joueur, il insuffle une impression de réalité quasi inédite dans un monde numérique.

L’aventure et l’écriture

Dans un jeu vidéo, le voyage est indissociable de l’épopée. Pour que le joueur prenne plaisir à arpenter les décors pensés par les concepteurs, il faut qu’il soit pris dans une histoire captivante. Pas si évident. Il faut prendre notamment en compte la temporalité variable des événements, le joueur ayant le choix de déclencher les événements quand bon lui semble. Et les dialogues prennent ici une importance capitale. Les missions se déclenchent la plupart du temps en discutant avec différents personnages et si ces rencontres se révèlent plates et sans saveur, le joueur peut très vite voir son intérêt s’étioler.

Le maître incontesté en la matière est encore une fois Rockstar, qui est capable d'élaborer un scénario complexe et fluide tout en construisant tous ses personnages à la perfection. Inutile de citer un de leurs jeux en particulier, c'est quasiment une constante chez eux depuis une décennie. La saga Assassin's Creed peut servir ici de contre-exemple. Ubisoft sait construire des univers et concevoir des gameplay parfaitement huilés, mais peine encore à transporter le joueur par la narration, trop plate et parfois hors sujet.

Les chemins de traverse

Pour finir, ce qui est sans doute une des clés de la réussite d'un monde ouvert : la possibilité de s'occuper hors du cadre linéaire du scénario principal. Ça peut prendre la forme de quêtes secondaires (des missions courtes données par des habitants), de travaux rémunérateurs, de lieux à découvrir, où même - ce fut une des trouvailles de Red Dead Redemption - des événements aléatoires qui se déclenchent sur le passage du joueur. Difficile de doser précisément ces activités. Trop nombreuses, elles risquent de brouiller l'identité du jeu, comme dans le thriller futuriste Watch Dogs, et si elles sont trop rares, le joueur risque de passer complètement à côté de l'environnement créé (ce fut le cas avec Mafia 2, sorti en 2010). Encore une fois The Witcher se démarque, avec ses nombreuses petites histoires, souvent captivantes, qui donnent envie de ne rien manquer du gigantesque contenu à notre disposition.