«Qu'est-ce que c'est ?» Entre quiz et rébus, c'est par un jeu pédagogique tout à fait charmant entre un maître et son élève que débute la Vie de Galilée dans la mise en scène que Jean-François Sivadier a eu la bonne idée de reprendre treize ans après sa création en 2002. Dans le plus simple apparat d'un théâtre de tréteaux, Nicolas Bouchaud, dans le rôle de Galilée, a tendu une toile blanche qui sert de fond à sa démonstration. Son élève, Andréa Sarti (interprété par Stephen Butel), décrypte comme il peut les gestes du maître. Régulièrement il se tourne vers le public comme pour demander son aide ou pour convier la salle à participer. L'impact de cette scène d'ouverture est d'autant plus efficace que l'échange entre le maître et l'élève paraît presque improvisé. On pourrait y voir un instant dérobé subrepticement à l'emploi du temps chargé du chercheur, lequel survit en donnant des leçons de mathématiques. Un moment de récréation où la réalité la plus prosaïque surgit incidemment, quand Andréa remarque que le laitier n'a pas été payé, pour très vite se laisser prendre au jeu. Mais il y a plus encore dans cet échange merveilleux entre un chercheur en train de chambouler de fond en comble une perception du monde héritée de l'Antiquité et le fils de sa gouvernante. Par cet exercice de pédagogie, Galilée s'efforce de faire partager ses découvertes.
La difficulté à transmettre une vérité - par exemple que la Terre tourne autour du Soleil et non l'inverse - est un des motifs récurrents de la pièce. Et ce d'abord parce que cette vérité ne s'accorde pas avec le dogme défendu par les théologiens. Galilée est donc pris entre deux feux : d'un côté, sa passion de la découverte ; de l'autre, l'autorité religieuse pour qui toute curiosité est dangereuse, un péché passible de l'Inquisition. «Seigneur, ma science est encore avide de connaissance», déclare Galilée quand le curateur de l'université de Padoue lui propose un poste lucratif mais trop prenant. A ce moment-là, il ne se cache pas encore, comme il devra bientôt le faire pour échapper à la torture. Galilée, tel que le décrit Brecht, n'est pas d'un bloc et certainement pas un pur esprit, la tête toujours dans les étoiles. Il est avant tout profondément humain, avec ses faiblesses. Et c'est bien cette dimension humaine, chaleureuse, qui émane du personnage tel que l'interprète Nicolas Bouchaud.
En fait, cette chaleur humaine baigne tout le spectacle, comme si l'appétit de découverte et d'expérimentation qui anime Galilée était communicatif. A quoi s'ajoute le constat réjouissant qu'après tant d'années, la mise en scène n'a pas pris une ride. Sivadier sert remarquablement bien le théâtre de Brecht en y intégrant notamment des intermèdes comiques - comme ce passage où les acteurs, munis de faux nez, offrent une désopilante «séance de doute» ponctuée d'allusions piquantes aux frères Bogdanov. Loin de tout didactisme, il fait lui-même œuvre de pédagogie dans la foulée de l'auteur en donnant à voir un théâtre qui pense en quelque sorte sur le vif. On en ressort joyeux et revigoré.