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Libération
Critique

Tiravanija, le look CBGB

Le plasticien restitue à Paris le décor du club new-yorkais : sa scène, ses toilettes, ses graffitis.
publié le 8 juin 2015 à 19h56

Si Rirkrit Tiravanija ouvre son expo par des WC, ce n'est pas une façon de renvoyer aux chiottes l'art, le marchand et le public. Cette petite salle, avec ses trois urinoirs, son siège et ses deux lavabos, tous opérationnels, est une reconstitution des gogues du CBGB, club new-yorkais, antre du punk et de la new wave, fermé en 2006. Seule différence : la blancheur de ces murs, qui ne gardent qu'une empreinte ténue des graffitis tracés durant la trentaine d'années d'existence du club, en les reproduisant en relief, en fossilisant leur trace. Ces toilettes sont hantées, et y pisser devient un acte de spiritisme, à la poursuite de l'esprit punk. Lequel se manifeste plus sûrement dans la version en marbre de la scène du CBGB, posée sur de lourds bacs à glace faits de la même pierre. L'artiste, musicien à ses heures, y a joué samedi, pour le vernissage, mais vous n'avez rien raté. Non pas que son concert fût nul, mais ce n'est pas l'idée, pas l'expo. La preuve : il a laissé ses instruments et chacun peut s'en servir pour improviser un bœuf. Depuis l'aube des années 90 et les grandes heures de ce que Nicolas Bourriaud avait baptisé «l'esthétique relationnelle», Rirkrit Tiravanija, 54 ans, a toujours conçu ses expos ainsi : une forme en stand-by qui n'attend que le spectateur pour avoir sa raison d'être. Dit autrement, ces objets, les toilettes, les glacières et la scène ne sont que des coquilles vides si le spectateur ne s'en empare pas. Le soir du vernissage, celui-ci pouvait se tailler une tranche de lardo di colonnata, spécialité charcutière de la région de Carrare, affinée dans des coffres de marbre. Or, ce genre d'œuvres à partager a laissé place sur le marché de l'art à des objets en bonne et due forme, faits pour hiberner dans les salons des collectionneurs. Donc loin de l'esprit qui anime Tiravanija, pariant sur une œuvre d'art débarrassée de sa matérialité, n'existant qu'un instant et se mettant en sommeil tant que rien ni personne ne l'active. Finalement, si l'artiste souffle sur les braises du punk, c'est aussi pour ranimer la flamme de «l'esthétique relationnelle», une autre utopie sacrifiée sur la scène du capitalisme. La scène en marbre se fait alors pierre tombale et les toilettes deviennent les limbes de la sous-culture.