Il y a longtemps de cela (disons un quart de siècle), la Fura Dels Baus incarna une forme de renouveau théâtral en Europe. Affranchie du franquisme, la compagnie catalane bousculait tout sur son passage, aux sens propre et figuré, imaginant des spectacles immersifs d’où le public sortait passablement secoué. Depuis, le temps a passé et la Fura a fait de moins en moins fureur, tout en continuant à essaimer entre théâtre, arts de la rue et opéra.
Fiasco total
2015 était censé marquer le retour au premier plan de la troupe qui, trente-six ans après sa première création, a singulièrement rajeuni ses cadres tout en tentant de préserver l'esprit séditieux d'origine. Ce qui nous amène tout droit dans M.U.R.S, projet d'autant plus ambitieux qu'il squatte jusqu'à fin juin la Grande Halle de la Villette, à Paris (après être passé par Maubeuge). Las, on comprend vite que le fiasco est total.
Condition liminaire, il est demandé au public, muni d’un smartphone, de télécharger une application spécifiquement conçue pour l’occasion (au pire, un Samsung est prêté pour l’occasion). Celle ci fournira un certain nombre d’indications permettant d’effectuer la déambulation dans les meilleures conditions. Toutefois, d’entrée, une voix off prévient les spectateurs les plus archaïques (ou étourdis) que s’ils n’ont pas l’appli, cela ne les empêchera pas de vivre l’expérience in situ. De fait, on se fout assez vite de ladite appli qui martèle juste diverses injonctions («Vous êtes supers», «Protégez vous avec du plastique»…) entre deux bugs.
Un monde de fous
A part ça, que veux nous dire M.U.R.S ? Qu'il faut veiller à ne pas se laisser dépasser, voire manipuler par les nouvelles technologies. Que l'on vit dans un monde de fous régi par la spéculation financière, les menaces de catastrophes écolos, la foire d'empoignade où l'on se doit de courir plus vite que le voisin pour espérer tirer son épingle du jeu… Soit. Mais, déclinée en quatre zones et autant de couleurs, la démonstration se révèle si fastidieuse, simpliste, cheap (en dépit des moyens mis en oeuvre : grands écrans, échafaudages…), laide et, pour tout dire, artistiquement larguée, que la Fura en finit un peu par faire de la peine.
Comparé aux antécédents de la compagnie «libertaire», il ne suffit pas (ou plus) au XXIe siècle de gueuler sur le public (dans un sabir souvent inintelligible mêlant français, anglais et espagnol), de monter le volume sonore d'une BO electro poussive, ou de feindre de bousculer quelques personnes, pour faire sens.
Pensé par six directeurs artistiques (!) et interprété par une dizaine de comédiens (?) plus quelques techniciens, M.U.R.S s'apparente tel quel à un parcours du combattant en forme de chemin de croix, ni choquant, ni pertinent, ni anxyogène, ni caustique, etc., laissant sur le carreau celles et ceux qui croyaient encore en la Fura. Au bout d'une heure de vaines gesticulations, les lumières se rallument et quelques applaudissements épars se fond entendre, au milieu d'un abîme de perplexité, sinon de désolation.
M.U.R.S, par la compagnie Fura Dels Baus, à la Grande Halle de la Villette, 75019.