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Jeux vidéo

L’E3 voit large

Retours attendus, héroïnes enfin assumées, titres indépendants prometteurs, franchises à la pelle et réalité virtuelle encore frileuse : la création était au cœur du dernier salon californien.
«The Last Guardian», édité par Sony, sur PS4. (Photo DR)
publié le 18 juin 2015 à 19h06

L’E3, qui s’est déroulé cette semaine à Los Angeles, vient de fermer ses portes, et il a tenu son rang. Il y a une hiérarchie, dans les éditions du plus grand salon de jeu vidéo qui se tient chaque année à cette période à Edward Snowden. Il y a les E3 qui annoncent la future génération de consoles, souvent spectaculaires ; les éditions un peu en berne, en début et en fin de génération, soit parce que les créateurs n’ont pas encore maîtrisé le matériel actuel, soit parce qu’ils attendent le prochain. Et puis, dans les deux ou trois ans qui restent (une génération dure entre cinq et sept ans), les stars sont les jeux eux-mêmes. Ces éditions sont les plus passionnantes, car elles montrent la diversité et la richesse de la production. Et ce fut le cas cette année, avec un bel équilibre entre les grosses annonces qui ne surprennent plus personne, les petites perles indépendantes et les inédits - sans doute un poil survendus mais qui continuent, année après année, de faire rêver les gamers. Bilan.

Les vieilles gloires

Il plane sur cet E3 comme un parfum de fin des années 90. Ça s'est passé, surtout, durant la conférence de Sony. Une longue épée pendule au dos d'un homme coiffé de cheveux blonds en pétard : il est enfin là, le remake de Final Fantasy VII (1997). L'instant d'après, un homme nommé Yu Suzuki monte sur scène. Il vient demander de l'argent aux joueurs pour développer un jeu longtemps espéré lui aussi, en vain pensait-on : Shenmue III. C'est un succès : en moins de neuf heures, 2 millions de dollars (1,75 million d'euros environ) sont récoltés sur Kickstarter pour concrétiser la suite d'une aventure entamée en 1999 et 2001 sur Dreamcast, qui fut en son temps la plus grosse production de l'histoire du jeu vidéo, mais aussi un de ses plus cuisants échecs.

Sur Xbox One, Microsoft annonce une compilation de trente jeux signés Rare, studio anglais acheté à prix d'or à Nintendo, qui s'est retrouvé à développer de médiocres jeux pour Kinect. Banjo-Kazooie, Conker's Bad Fur Day, Perfect Dark… Ce ne sera pas très neuf, mais ce sera bon.

Revoilà aussi un renard, dont le destin fut justement confié à Rare en 2002, le temps d'un jeu sur GameCube : c'est Fox McCloud, de retour sur Wii U dans un StarFox Zero. Et puis enfin, on les retrouve, ce jeune garçon et son énorme créature, mi-félin mi-oiseau : c'est The Last Guardian sur PS4, un jeu qu'on avait cru enterré depuis 2012 (lire Libération de mercredi).

Les femmes (enfin !)

Soyons honnêtes, on ne pensait pas que ça arriverait si vite. Mais l'industrie du jeu vidéo semble enfin avoir compris que son public n'est pas uniquement constitué de jeunes mâles hétéros. La place des femmes dans les jeux vidéo est un sujet brûlant depuis 2012 et l'annonce du projet de la blogueuse Anita Sarkeesian d'aborder ces stéréotypes dans une série de vidéos. A la mise en ligne de son projet sur Kickstarter, une campagne de harcèlement d'une violence sans précédent débute, aboutissant, deux ans plus tard, sur le tristement célèbre Gamergate, ciblant aussi certaines créatrices indépendantes.

2015 restera comme l'année de la prise de conscience, avec l'émergence de nombreuses héroïnes loin de tout cliché d'hypersexualisation. Il y a d'abord celles qu'on connaît, Lara Croft (Rise of the Tomb Raider) et Faith (Mirror's Edge Catalyst) que l'on a pu voir dans des vidéos qui confirment l'ambition de leurs créateurs. Viennent ensuite les séries installées qui ont choisi de mettre en scène une héroïne, en complément du traditionnel (super-) héros. Ainsi Assassin's Creed qui, dans son épisode Syndicate prévu pour la fin de l'année, va permettre d'incarner Erie Frye, furtive et efficace, et son frère jumeau Jacob, un poil plus brutal. Dans Dishonored 2, le joueur pourra choisir d'incarner Emily Kaldwin qui, dans la vidéo d'introduction, semble être au moins aussi redoutable que Corvo, le héros du premier épisode.

Enfin, de nouvelles venues, et non des moindres, avec, par exemple, Aloy, chasseuse dans l'univers post-apocalyptique de Horizon : Zero Dawn, le prochain titre du studio d'Amsterdam Guerilla Games (Killzone). La vidéo dévoilée lors de la conférence de Sony, qui montre un combat dantesque contre des sortes de dinosaures mécaniques, est sans doute la plus bluffante de cet E3. Citons aussi Recore, avec son univers à mi-chemin entre WALL-E et Miyazaki, et Tacoma, le nouveau jeu des créateurs du très marquant Gone Home.

Les indés

Comme chaque année, les jeux indépendants sont regroupés en deux minutes de vidéo lors des conférences des constructeurs, qui soulignent à quel point ils sont attachés à cette mine d'inventivité. Ce qui n'empêche pas que de belles choses soient (rapidement) montrées. Sur Xbox One (et PC), la sortie de Cuphead, déjà présenté l'an passé, se rapproche : développé par deux frères, ce magnifique jeu en 2D au graphisme imitant les cartoons des années 30 est prévu pour l'année prochaine. Un autre travail sur les couleurs caractérise Beyond Eyes, développé par la jeune Néerlandaise Sherida Halatoe. L'esthétique de ce jeu, dans lequel on incarne une petite fille aveugle à la recherche d'un ami (le décor n'apparaît donc qu'au fil de son exploration), s'approche de l'aquarelle.

Chez Sony, on a préféré mettre en avant la poursuite du fructueux partenariat avec Devolver Digital, qui a publié les deux Hotline Miami sur PlayStation. Fidèle à sa veine empreinte de violence et de pixel art, l'éditeur américain a ainsi montré Ronin, un jeu d'infiltration à base de ninjas, Mother Russia Bleeds, un beat them all soviétique développé par les Français du studio Le Cartel, ou encore Crossing Souls, un jeu d'action situé dans la Californie des années 80. Certains jeux indépendants sont si attendus qu'ils bénéficient de présentations propres : c'est le cas de Firewatch, entre aventures et mystère dans le parc naturel du Wyoming. Et bien sûr de No Man's Sky, l'exploration spatiale toujours plein de promesses.

Les machines à rêve

Chaque année, les éditeurs alignent les suites de leurs plus grosses franchises, promettant plus beau, plus fort, bref, quelque chose «que vous n'avez jamais vu auparavant». On se prépare donc à retourner dans l'espace avec Mass Effect Andromeda (PS4, Xbox One), dévoilé seulement par le biais d'un trailer (sortie prévue fin 2016), mais aussi dans Halo 5 (Xbox One) et dans Star Wars Battlefront (PC, PS4, Xbox One), une des sensations du salon avec une scène de la bataille enneigée de Hoth.

On retrouvera aussi des univers futuristes dans Deus Ex : Mankind Divided (PC, PS4, Xbox One), ainsi que dans Fallout 4, déjà critiqué pour son moteur graphique, et dans Gears of War 4 sur Xbox One. L'exotisme sera à aller chercher dans le très joli Uncharted 4 (PS4), et dans Just Cause 3 (Xbox One, PS4, PC), qui s'annonce évidemment plus grand, plus fun et plus bourrin que ses prédécesseurs.

La réalité virtuelle

A moins d'un an de la sortie des casques de réalité virtuelle, il serait temps d'en savoir un peu plus sur les applications ludiques, qui sont les produits d'appel de la technologie. Et pour le coup, on reste un peu sur sa faim. Une frilosité sans doute due à l'impossibilité de retranscrire l'expérience par des images classiques : il faut un casque sur la tête pour comprendre ce qui se passe. Bilan, lors des conférences, seul Microsoft a fait sensation dans une démonstration de réalité augmentée avec son très futuriste Hololens. On a pu voir sur la scène tout un monde issu du jeu Minecraft apparaître sur une table grâce à une caméra mobile équipée du casque. Mais Hololens n'est pas attendu avant plusieurs années.

Sony, à l'inverse, n'a pas franchement mis le paquet sur son projet Morpheus, alors que son casque est sans doute le plus prometteur des ambassadeurs de la réalité virtuelle pour le grand public (pas de PC surpuissant nécessaire et un câblage plutôt simple). Morpheus et son concurrent Oculus Rift ont cependant été présents dans les allées du salon avec des démos techniques assez convaincantes, selon les dires des journalistes présents. Oculus dévoilait ainsi Touch, un système composé de deux manettes pouvant simuler les mains des utilisateurs, avec un programme appelé ToyBox. Du côté de Morpheus, plusieurs jeux ont été annoncés, dont Rigs, un titre orienté sport électronique mettant en scène des combats de robots. Mais la démo qui semble avoir scotché tout le monde s'appelle The Kitchen et elle est signée Capcom, à l'origine de la saga horrifique Resident Evil. Attaché à une chaise dans une cuisine glauque, le joueur se fait chahuter par une apparition démoniaque et finit transpercé par un poignard. Ça fait envie, non ?