La fascination horrifiée que provoque immanquablement le surgissement ou la révélation du visage d'un tueur s'est à nouveau produite cette semaine avec la traque, l'arrestation et finalement les aveux de Dylann Roof, 21 ans, l'assassin de l'église de Charleston, en Caroline du Sud. Une fois encore, les préjugés tenaces sur la «gueule de l'emploi» ont été vérifiés par la publication et la large diffusion de ce portrait que le jeune homme avait posté sur son profil Facebook, dont le compte a évidemment clôturé illico. Probablement que même avant qu'il n'ait rien commis d'irréparable, ne se serait-on pas senti particulièrement rassuré par sa façon de fixer l'objectif d'un air vengeur, ni spécialement attiré par sa moue de dédain. Qui prend la photo, en fait ? Un ami probablement et il va sans dire qu'ici Dylann Roof prend la pose et se raconte qu'il se fabrique une identité physique qu'il veut intimidante alors même qu'il ne fait guère le poids, tant il reste, pour peu qu'il soit désarmé, un gringalet que de nombreux témoins ont décrit comme taiseux, timide et même craintif, un «super emo» selon des amis de lycée. Ce n'est pas une photo anodine prise un jour de vadrouille dans un bois, elle s'insère dans cette stratégie de publicité de soi ou de narcissisme éloquent que les réseaux sociaux ont à la fois permis et favorisé. Rétrospectivement, à l'échelle de la tragédie qui a emporté la vie de neufs victimes et de l'effondrement biographique précoce de ce jeune homme, les yeux sombres sont d'autant plus magnétiques que l'on sait désormais qu'ils seront les témoins du carnage, que c'est par eux que les corps d'innocents seront visés et détruits dans une église à l'heure de l'office. A l'arrière-plan, les arbres aux troncs blanchâtres, la végétation filandreuse forme un délavé grisâtre qui évoque un décor d'Europe de l'Est. Roof a un air de bad boy russe tandis que sa coupe au bol évoque une allégeance à la mémoire de Jeanne d'Arc. Les écussons sur son blouson sont les drapeaux d'Afrique du Sud et de l'ex-Rhodésie, deux nations ayant adopté un système d'apartheid.
Il faudrait mener une histoire iconographique du tueur de masse constituant sur ces quinze dernières années une vaste fresque du passage à l'acte qui illustrerait dans le même temps une véritable archéologie de la célébrité instantanée et de l'infamie globalisée. De la tuerie du lycée Columbine (1999) à l'opération d'Anders Behring Breivik (2011) flinguant des dizaines de jeunes militants de gauche sur l'île d'Utøya, ou encore la fusillade d'Aurora (Colorado) perpétrée par James Eagan Holmes dans un cinéma projetant The Dark Knight Rises, le moment où un visage coupable est collé sur la relation du massacre relève désormais d'un rituel d'exorcisme médiatique. On sent bien qu'il s'agit, au-delà du souci d'informer et de ne rien dissimuler sur lequel on n'épiloguera pas ici, de surtout combler une attente et de calmer une angoisse. La photographie retrouve sa fonction spirite. On veut voir le démon et traquer en lui les dernières traces de la peur, ou les caractéristiques discrètes qui permettent de distinguer, derrière l'apparence commune, les éléments tangibles d'une chute et d'une perdition absolue.