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Mona Hatoum tranche dans l’art

Le centre Pompidou consacre une exposition au travail calme et violent de l’artiste d’origine palestinienne.
«Twelve Windows» (Mona Hatoum avec Inaash), broderies palestiniennes sur tissu. (Photo Joerg Lohse. Courtesy Alexander and Bonin, New York. )
publié le 29 juin 2015 à 19h06

Mona Hatoum est artiste. Mais parce que Mona Hatoum est une femme née en 1952 à Beyrouth de parents palestiniens originaires de Haïfa, parce qu'elle s'est installée à Londres dans les années 70 et parce qu'elle vit aujourd'hui entre le Royaume-Uni et Berlin, la plupart des commentaires à son sujet se résument à cette errance, et mettent en avant la manière dont elle sonde les questions de l'exil ou de l'identité. Ce qui est vrai, quoique ces problématiques identitaires, elle n'est, et de loin, pas la seule à les évoquer. Et pourtant, le travail de Mona Hatoum se retrouve toujours cantonné à sa zone géographique d'origine, à son genre, tout cela avec un sous-texte rempli de l'orientalisme décrit par Edward Saïd. En 2000, le penseur palestino-américain écrivait d'ailleurs à son sujet : «Ses installations, ses objets et performances viennent se graver dans la conscience du spectateur avec une ingéniosité étonnament discrète, que l'usage virtuose qu'elle fait de matériaux extrêmement simples, familiers et ordinaires (cheveux, acier, savon bille, gomme-caoutchouc, fil de fer, ficelle, etc.) ébranle de manière provocatrice, annule presque et limite à coup sûr.»

Cette dimension paradoxale, frappante, est évidente dès la première salle de l’exposition que lui consacre le centre Pompidou à Paris, la plus grande à son sujet, qui voyagera ensuite à la Tate Modern à Londres et au Kiasma à Helsinki.

Le paradoxe du travail de Mona Hatoum est qu'il fait se cohabiter une violence inouïe et un grand calme. Ses installations ou sculptures se tiennent là, sans bouger, presque hors du monde et inoffensives. Et pourtant, un panneau à l'entrée précise : «Il est strictement interdit de toucher aux œuvres exposées, dont plusieurs présentent des éléments dangereux et coupants». La solution à ce trouble est visible dès l'entrée, avec So much I want to say, un écran où apparaît un visage flou, la bande-son répétant en boucle «Tellement de choses à dire». Hatoum a beaucoup de choses à dire, et tant pis si elles peuvent paraître opposées.

Les formes humaines sont absentes, à quelques exceptions près. Mais partout, l'humain est la priorité. Ainsi de ses sculptures parmi les plus connues : Cube, Incommunicado, Quarters, Untitled (wheelchair II). Dans l'ordre, et toutes faites en métal, il y a une cage, un landeau, des étagères, une chaise roulante… Daybed est une banquette d'acier recouverte de pics, un lit de fakir. Le corps n'est alors qu'une matière à torture, une surface où s'imprimeront les stigmates du monde. Ce qui frappe dans sa carrière dense, c'est la multitude des formes avec laquelle Hatoum s'est attachée à saisir la souffrance. De ses vidéos de performance dans l'Angleterre de Thatcher, où elle s'attachait les lacets des deux chaussures entre elles et marchait péniblement dans la rue, jusqu'à Twelve Windows, une salle traversée par des fils et où il faut se contorsionner entre douze broderies qui pendent, chacune représentant une région de la Palestine oubliée.

Et puis il y a le «tube», Grater Divide, une râpe à légumes de 2 mètres de haut. L'objet domestique devient menaçant. En petit, il couperait des carottes, mais là, il trancherait des hommes. Apparaissent d'autres ustensiles de cuisine, éclairés et sonorisés, flippants. En arrivant au Royaume-Uni, Hatoum a découvert des objets qu'elle ne connaissait pas au Liban, et a tenté de les appréhender en les modifiant, en changeant leurs usages ou échelles.

Cette question de la taille est omniprésente. Comme Jonathan Swift, Hatoum joue avec les formats, nous rapproche du tout-petit. Via une petite caméra, elle entraîne dans ses narines, entre les poils et saletés.

Mais elle nous offre aussi la possibilité de prendre de la hauteur : les continents sont tissés dans un tapis, des cartes des magazines de compagnies aériennes sont coloriées, des plans de Kaboul, Beyrouth ou Bagdad sont perforés ou mis en relief, comme un écho aux destructions guerrières ou aux constructions immobilières.

Au centre Pompidou, elle a dessiné une carte du monde en billes de verre, les boules minuscules et transparentes bougeant avec les mouvements des visiteurs qui agissent comme des mini-séismes, créant des îlots et archipels inédits. Ainsi, Mona Hatoum nous offre mieux que la possibilité de surplomber le monde, elle nous invite à l’imaginer.