Yan, jeune veuve qui a fait vœu de chasteté à la mort de son mari, éprouve une forte attirance pour le précepteur. Ils vivent depuis plusieurs années sous le même toit, mais le jeune homme doit se rendre à la capitale de l’empire pour passer ses examens. Il n’est pas sûr qu’il revienne. Son départ imminent aiguise la situation alors que lui-même éprouve un sentiment puissant vis-à-vis de la veuve. Pour des raisons de convenance et peut-être par timidité, il n’ose se déclarer.
C'est du moins ce que l'on comprend à ce stade de l'adaptation limpide de ce classique chinois qu'est la Veuve et le Lettré, dont le Théâtre Liyuan présente en ce moment sous le titre Une femme chaste une mise en scène d'une remarquable précision pointilliste. Née sous la dynastie Song, la tradition du théâtre Liyuan est plus ancienne que celle de l'opéra de Pékin. Sa gestuelle s'appuie sur 18 mouvements de base. La troupe Liyuan de Quanzhou qui poursuit cette tradition officie depuis 1953. Le plus remarquable dans cette version d'Une femme chaste, c'est la fraîcheur, l'évidence, la liberté du jeu des acteurs qui, bien qu'extrêmement codifié, pris dans le réseau d'une gestuelle incessante dont le sens profond nous échappe, respire la vivacité. L'alternance des paroles et du chant déroute tout autant et fascine quand, par exemple, le monologue intérieur d'un personnage est proféré en musique face à un interlocuteur qui écoute et n'entend pas le fil de ces pensées chantées. A quoi s'ajoute le fait que l'interaction permanente entre les mouvements et la musique offre un registre très large à l'expressivité des sentiments et des émotions tout en maintenant cette distance subtile d'un théâtre enchâssé dans un système de règles.
La relation entre la veuve et le précepteur prend une tournure cuisante quand l'homme privilégiant sa carrière repousse froidemment les avances de la veuve en lui claquant la porte de ses appartements au nez. Humiliée, elle ne s'en remettra pas. Elle pense au suicide, mais choisit de se couper les doigts. Dix ans plus tard, «le temps d'un battement de paupières», l'affaire devenue notoire, l'empereur la reçoit à la cour en présence du précepteur devenu ministre. L'empereur, qui comme il se doit représente la loi et l'ordre, n'en est pas moins un gaillard plutôt ambigu. Moqueur, il ironise sur l'attitude du précepteur autant que sur celle de la veuve. Mais alors qu'il honore cette dernière de s'être infligée une punition pour sa concupiscence et veut l'ériger en exemple, Yan refuse son offre. Ce n'est pas de gaieté de cœur qu'elle accepte sa chasteté, mais elle n'a finalement pas le choix. La vérité est qu'elle regrette amèrement de vivre dans une telle société dont les lois morales du confucianisme constituent un carcan cruel.