Quelques jours après la destruction d'une de ses œuvres, victime collatérale des séparatistes ukrainiens, mais aussi l'inauguration de son exposition au musée des Beaux-Arts de Bruxelles, Pascale Marthine Tayou, 49 ans, a reçu Libération début juillet dans le cadre enchanteur d'un chocolatier bruxellois, pour un entretien dans une langue très fleurie qui n'appartient qu'à lui.
Vous êtes autodidacte. Comment s’est constituée votre pratique ?
J'ai commencé dans mon coin, comme tout le monde. J'ai reçu une éducation sur le tas : je trouve qu'on apprend plus par les rencontres, les expériences de la vie. Dans mon cas, il y a d'abord eu une prise de conscience, une révolution intérieure : «Pourquoi je suis là ?» L'art est venu en réponse aux questions posées, comme une issue de secours. Mes mécènes ont d'abord été mes camarades du quartier. Ils m'ont accepté sans me dire «tu es fou !» Ça, c'est le terreau d'origine.
Quelle lecture faites-vous de votre œuvre de 2015, Coton Tige, présentée au sein de votre exposition à Bruxelles ?
Il s'agit d'un grand nuage tissé, brodé avec du fil de coton et traversé de pieux, qui évoque l'histoire des colonies et de l'esclavage : une forme de memorial art. S'il fallait trouver un symbole physique des esclaves dans les champs de coton, c'est le pieu qui charrie la souffrance, alors même que le coton manipulé est une douceur. Ce nuage traversé d'épées de Damoclès renvoie aussi à iCloud, puisqu'on en parle beaucoup ces jours-ci. Mais je ne suis pas là pour faire peur, je ne suis qu'un passeur !
Une œuvre faite de slogans en néons se tient à l’entrée du musée, Bring Back Our Boys and Girls. Quel est son lien avec l’actualité ?
Je me suis demandé : «Qu'est-ce qui fait qu'on devient terroriste ?» On entend constamment répéter à leur propos «c'était un gentil garçon». Quel sens cela a-t-il ? L'œuvre s'intitule Bring Back Our Boys and Girls car les garçons qui ont enlevé les 276 lycéennes sont aussi, d'une certaine manière, pris en otages par Boko Haram. A quoi peut servir une exposition, sinon à parler en mode mineur de nos frustrations ? A dire que je fais l'objet le plus cher, que je suis le plus beau ? Plutôt à rire de la mort, à dialoguer avec les gens. En rigolant de tout ça, peut-on faire bouger les lignes ? Plus que l'obtention d'un résultat, une exposition est d'abord un relevé de notes, un diagnostic.